J’ai suivi avec intérêt la prestation télévisuelle du Président de la République, Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement, Monsieur Patrice A. G. Talon. J’ai aimé le ton plutôt apaisant, voire rassurant avec lequel le Président de la République a conduit l’entretien. Il tranche nettement avec le ton agressif de ses précédentes sorties.
Je partage également son désir de regroupement des partis ; plus personne ne s’y oppose. La preuve, c’est que les partis intéressés ont accompli les formalités de mise en conformité. C’est le Ministère de l’Intérieur qui n’a pas loyalement joué sa partition. Mais cela ne veut pas dire qu’à l’avenir il n’y aura pas plus de quatre partis remplissant les critères définis dans l’actuelle charte des partis ; loin s’en faut. Il y en aura beaucoup plus. Et même en maintenant, ce qui à mes yeux apparaît comme un principe anti-démocratique, à savoir les 10% des suffrages pour être éligible aux sièges, il est possible d’avoir dans l’absolu dix partis et dans le relatif au moins quatre dans l’hypothèse que chacun réunisse 25%. La réduction du nombre des partis politiques à l’Assemblée nationale peut être obtenue plus efficacement en jouant sur le mode de scrutin plutôt que sur le double degré de suffrages. Si au lieu de la proportionnelle, nous passons à une élection majoritaire à deux tours, les mêmes résultats seraient obtenus avec moins de résistance.
Je partage enfin l’idée du Président de la République selon laquelle une nouvelle conférence nationale, surtout si elle était proclamée « souveraine », serait une remise en cause de l’ordre constitutionnel actuel et je comprends bien que cette idée ne puisse pas trop l’enchanter.
Mais je suis resté sur ma faim parce que la seule vraie information que, comme moi, les Béninois attendaient de cette émission, c’était la reprise ou à défaut le réaménagement du calendrier électoral. Mais cette idée n’a jamais été évoquée par le Président de la République, d’une part, à cause de l’interprétation plutôt discutable et pour tout dire insatisfaisante qu’il fait de certaines dispositions de notre Constitution, notamment les articles 4 et 68 (I) et, d’autre part, parce qu’il ne semble pas apprécier de la même manière que beaucoup d’entre nous, les conséquences que constitueraient des élections législatives exclusives sur notre pays, son image, sa stabilité et sa paix (II).
I / Ce que disent les articles 4 et 68 de la Constitution
Manifestement, le Président de la République semble très soucieux du fonctionnement normal de nos Institutions. Comment peut-il en être autrement, lui qui aux termes de l’article 41 est le Chef de l’Etat, l’élu de la Nation, l’incarnation de l’unité nationale et le garant entre autres du respect de la Constitution. Ce qui, en revanche, pose problème, c’est l’interprétation qu’il fait des articles 4 et 68 pour rejeter la solution que nous sommes, de plus en plus nombreux, à lui suggérer pour sortir de cette situation d’élections qui excluent, à savoir la prise d’ordonnance prévue à l’article 68 de la Constitution.
Pour le Président de la République, demander à l’Assemblée de trouver le consensus, c’est respecter l’article 4 alinéa 1 qui dispose que « le Peuple exerce sa souveraineté par ses représentants élus et par voie de référendum… ». Il en déduit, à raison, que la souveraineté du Peuple ne s’exerce qu’à travers les représentants élus et le référendum. Malheureusement, le Président de la République limite, à tort, « les représentants élus » aux seuls Députés. Or, le premier des « représentants élus » est bel et bien le Président de la République. C’est lui seul qui incarne l’unité de la Nation ; il est élu par l’ensemble des Béninois par une circonscription nationale unique tandis que les Députés sont élus par circonscriptions réduites. Quand bien même il n’est pas élu par 100% des Béninois, il devient le Président de tous les Béninois tandis que même si le Député n’a pas un mandat impératif, même si « chaque Député est le représentant de la Nation toute entière », il restera toujours et avant tout, le Député du coin : aucun député ne peut aller faire campagne dans une circonscription qui n’est pas la sienne. De même au terme de l’article 58, le Président de la République peut, seul, mettre en branle la procédure référendaire, l’autre voie que le Peuple a d’exercer sa souveraineté, sur « toute question relative à la promotion et au renforcement des droits de l’homme, à l’intégration sous-régionale ou régionale et à l’organisation des pouvoirs publics ». En revanche, pour que les députés, eux, mettent en branle une procédure référendaire, il leur faut, conformément à l’article 108 de la Constitution une majorité des trois quarts pour « décider de soumettre toute question au référendum ». Au total le Président de la République en tant que représentant élu du Peuple n’est pas obligé de confier la recherche du consensus aux seuls députés ; au contraire en sa qualité de garant de l’unité nationale, il a la prérogative constitutionnelle de la conduire sous une seule réserve, celle de l’article 96 qui dispose que « l’Assemblée nationale vote la loi et consent l’impôt ». En effet, seule l’Assemblée nationale vote la loi.
Par ailleurs, si je suis d’accord avec le Président de la République pour considérer que l’article 68 est une « bombe atomique », certains parlent même de « coup d’Etat constitutionnel », ce n’est pas parce que nous lui demandons de l’utiliser pour permettre des élections inclusives que nous lui donnons des pouvoirs illimités, facteur de risque pour la gouvernance démocratique ; c’est parce que l’article 68 est prévu par la Constitution qu’il faut bien l’utiliser : il s’agit d’en faire une utilisation juste et judicieuse. Tous les Présidents qui vous ont précédés l’ont utilisé au moins une fois à des fins juste et judicieux.
Il y a un mot dans l’article 68 qui mériterait d’être mis en valeur pour rassurer le Président de la République quant à son utilisation : c’est le mot menace.
L’article 68 dispose que : « Lorsque les Institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacés de manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et constitutionnels est menacé ou interrompu, le Président de la République de la République, après consultation du Président de l’Assemblée Nationale et du Président de la Cour Constitutionnelle, prend en conseil des Ministres les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances sans que les droits des citoyens garantis par la Constitution soient suspendus.
Il en informe la Nation par un message.
L’Assemblée Nationale se réunit de plein droit en session extraordinaire ».
Cet article est complété par l’article 69 qui dispose que « Les mesures prises doivent s’inspirer de la volonté d’assurer aux pouvoirs publics et constitutionnels dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission.
L’Assemblée Nationale fixe le délai au terme duquel le Président de la République ne peut plus prendre des mesures exceptionnelles ».
Il revient donc au Président de la République d’apprécier la menace ; mais lorsqu’elle est évidente, tout le monde s’en aperçoit. A titre personnel, je continue de penser que l’Assemblée Nationale est une Institution de la République et un pouvoir constitutionnel qui est menacé de manière grave et immédiate dans son fonctionnement si rien n’est fait pour organiser des élections inclusives et à bonne date. Car s’il les élections n’étaient pas inclusives et si elles ne se tenaient pas à bonne date, non seulement l’image du Bénin ainsi que la paix en prendraient un coup mais aussi et surtout nous courons le risque de l’interruption du fonctionnement régulier du ou des pouvoirs constitutionnels.
II / Les conséquences sur l’image et sur la paix
Le Président de la République est revenu plusieurs fois, au cours de l’émission sur l’image que donneraient du pays des élections exclusives. « C’est vrai que ce qui se dessine n’honore pas l’image de la démocratie béninoise. Je l’ai dit, je l’ai constaté et j’en ai été bien désolé ». Mais en fait, Monsieur le Président de la République, vous avez fait bien plus que de le constater et d’en être désolé. Vous avez ouvert un processus politique tendant à y trouver une solution. Vous n’y êtes pas encore parvenu ; persévérez encore et toujours et vous y arriverez dans l’intérêt supérieur de la Nation. Personne ne peut expliquer et justifier que seuls vos deux partis iront aux élections. Et contrairement à ce que vous affirmez, si ces partis ne vont pas aux élections cette fois-ci, il n’y a aucune raison qu’ils y aillent les fois prochaines : absolument aucune raison ; personne ne peut y croire.
Il en est de même pour la paix ; en fin d’émission, vous êtes revenu sur le risque de rupture de la paix en appelant les leaders politiques à ne pas appeler à incendier le pays. Ceux qui ont le sentiment de se voir priver de leurs droits constitutionnels et qui vous ont vu ces trois dernières années méconnaitre la Constitution en certaines de ses dispositions, ne pas respecter certaines décisions de la Cour constitutionnelle et qui ne voient poindre à l’horizon aucune solution ne peuvent rien faire d’autre que de se laisser tenter, à tort ou à raison, par la violence. Et vous, vous avez surtout promis, à juste titre, que vous ne laisserez pas faire. Et quid des électeurs qui seront tout aussi frustrés que leurs leaders de ne pouvoir les choisir et de devoir subir les choix que vous leur imposez à travers vos deux seules listes ? Il faut scruter les réseaux sociaux pour se rendre compte du niveau de la violence dans les cœurs : la violence apparaît dans ces cas comme un exutoire consolateur. Nous sommes bien là en présence de l’escalade et de la surenchère verbales qui débouchent inexorablement sur la violence : tous les ingrédients sont réunis. C’est cela qu’il faut absolument éviter et pour y arriver, deux solutions s’offrent encore à vous.
La première, c’est de reprendre, vous-même, sous votre houlette, les discussions politiques pour trouver un consensus que les Députés en session à partir du 12 avril pourront transformer en nouvelles lois et la seconde, à défaut de la première, partir du plus petit dénominateur commun du consensus pour prendre des ordonnances et rendre les élections inclusives. Pour cela, vous pouvez partir, d’une part, d’une modification a minima de la Charte des partis en son article 56 pour permettre aux partis de l’opposition de compétir et, d’autre part, une modification tout aussi légère du code électoral pour réduire les délais, notamment de campagne et autres afin de tenir les élections le 12 mai prochain : c’est encore possible !
Le Bénin y gagnera, les Béninois y gagneront et vous-même y gagnerez.
Par Topanou Prudent Victor K. Kouassivi
Maître de conférences de Science politique
Université d’Abomey-Calavi
Laisser un commentaire