Après l’adoption en procédure d’urgence, vendredi dernier, d’une loi modificative de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 par le parlement, la Cour Djogbénou aussi prend le dossier en urgence ce mercredi 6 novembre 2019. Elle tient actuellement une audience plénière spéciale à ce propos. A quelques heures de son verdict, un citoyen écrit au président et aux conseillers de l’institution.
L’auteur de la lettre ouverte ci-dessous publiée fait des rappels et démontre « qu’il n’existe pas en l’état actuel du droit positif (béninois) un examen législatif en procédure d’urgence d’une loi constitutionnelle ». Il demande à Djogbénou et aux conseillers de « faire place à la rigueur de la science du droit ».
LETTRE OUVERTE A DJOGBENOU ET AUX CONSEILLERS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE
Monsieur le Président et Madame et Messieurs les membres de la Cour Constitutionnelle
Il y a quelques heures vient d’être parachevé le processus hideux de la révision opportuniste et crapule de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 en exécution d’un agenda à peine caché du prince de la rupture en tandem avec une classe politique aplatie et une élite inculte et sans lumières.
Il en est ainsi d’une certaine initiative de dialogue dit politique à la mise au goût du jour de l’obsessionnel projet de révision constitutionnelle de l’actuel locataire de la Marina, pourtant dénoncé à chaque occasion et jeté aux orties de l’histoire politique de notre temps par le paisible peuple béninois.
Il s’agit sans aucun de doute d’une grosse et horrible supercherie politique, en vue d’opérer non seulement une légalisation de la confiscation de la souveraineté nationale par l’oligarchie régnante et ses affidés, mais aussi de procéder à la légitimation de la dictature sous les oripeaux de la démocratie.
Le cheminement pseudo institutionnel légal passe par votre instance, faut-il le rappeler, reste et demeure aux termes de notre Loi fondamentale encore en vigueur, une institution républicaine de contre pouvoir. Mieux, le peuple a voulu l’établir telle la citadelle des acquis démocratiques et de la défense des droits et libertés fondamentaux consacrés par le pacte social national.
Il va sans dire que dans l’ambiance de la ruse et de la rage votre mission secrète sera de sanctifier par votre prochaine délibération cette forfaiture, ce crime contre la démocratie chèrement acquise par la magie et la prestidigitation dont vous en avez l’art.
Seulement, cette fois-ci, il importe de vous rappeler pour votre honneur, votre intelligence, votre science, individuelle et collective et pour prendre à témoin le peuple béninois et votre progéniture, ce qui suit :
* Hormis, toute la mascarade structurant et affectant irrésistiblement la légalité constitutionnelle, ainsi que la légitimité souveraine de la 8ème mandature de la représentation nationale, y compris toute la fausseté procédurale qui a abouti au vote scélérat de la révision de la constitution dans la nuit du 31 octobre 2019.
Somme toute, de constance inattaquable, votre instance ne pourra ignorer le principe universellement acquis, selon lequel, la forme préjudicie sur le fond.
C’est pour vous dire, avec toute la gravité, qui interpelle votre conscience individuelle et collective d’une part, et votre professionnalisme d’autre part, qu’il n’existe pas en l’état actuel de notre droit positif un examen législatif en procédure d’urgence d’une loi constitutionnelle.
Veuillez bien Madame et Messieurs les conseillers de la Cour Constitutionnelle faire place à la rigueur de la science du droit, sans jamais oublier que votre juridiction n’a jamais été une invention béninoise, encore moins celle de la rupture.
De conséquence, sans aucune fioriture et très courageusement, vous devez déclarer inconstitutionnelle le vote consacrant la révision de la constitution intervenu cette triste nuit de la démocratie béninoise sur simplement les fondements des dispositions de l’article 89 de la Constitution en vigueur et celles de l’article 99 du Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale.
Dans tous les cas, l’article 89 alinéa 1 prescrit très clairement :
« Les travaux de l’Assemblée Nationale ont lieu suivant un Règlement Intérieur qu’elle adopte conformément à la Constitution. »
Aussi ces dispositions renvoient-elles entre autres au « Chapitre III : PROCEDURES LEGISLATIVES SPECIALES
Section 2 : Révision de la Constitution
Article 99 : Projets et propositions de lois portant révision
99.1 – Les projets et propositions de lois portant révision de la Constitution sont examinés, discutés et votés dans les conditions fixées aux articles 154 et 155 de la Constitution. »
Ce faisant, vous indiquerez à tous, notamment aux experts de qualité scientifique douteuse et de probité incertaine, que dans notre univers constitutionnel contemporain, la loi constitutionnelle par définition n’est jamais une loi ordinaire une fois pour toute.
Dans tous les cas de figure, l’on ne saurait valablement entretenir en cette espèce une confusion de genre sous aucun prétexte au regard des normes et règles de notre constitutionnalisme.
De même, vous enseignerez ainsi à tous, que les lettres constitutionnelles sont porteuses de l’âme de tout peuple à un moment de son existence institutionnelle et de son évolution sociopolitique.
Du coup, toute modification, encore davantage toute révision des lettres de la Loi Suprême ne saurait être seulement, l’affaire d’un groupuscule d’illuminés politiciens jouisseurs ou d’élites finalement incultes.
A cet égard, vous rappellerez à vous-mêmes et aux citoyens ces lettres sacrées de l’article 3 de la Constitution du 11 décembre 2019 en ce qu’elles disposent :
« La souveraineté nationale appartient au Peuple. Aucune fraction du Peuple, aucune communauté, aucune corporation, aucun parti ou association politique. Aucune organisation syndicale ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
La souveraineté s’exerce conformément à la présente constitution qui est la Loi Suprême de l’Etat. Toute loi, tout texte règlementaire et tout acte administratif contraire à ces dispositions sont nuls et non avenus… » .
Au demeurant, le caractère sacré, et la tenure solennelle des lettres constitutionnelles en vigueur s’apprécient à travers le respect de la souveraineté du peuple et non à travers leurs formulations littérales. La force des mots ne peut se substituer à la force de la souveraineté du peuple, source et expression de la volonté de ce dernier. A fortiori, le discours, la lettre formant le champ littéral ou lexical de la constitution ne peuvent vaincre la souveraineté nationale au point même d’en garantir le strict respect.
Donc, trêve de bluffs et de faussetés !
Aucun enfermement de durée d’un mandat politique constitutionnellement fixé ne saurait être un carcan invincible par le souverain national.
Souleymane Amidou
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