L’évènement majeur de cette semaine qui tire à sa fin chez nous, en dehors de la publication officielle des statistiques toujours à la hausse du covid 19, est sans conteste la sortie médiatique du premier responsable de l’archidiocèse de Cotonou. Un message sur trois pages en format A4 largement diffusé sur les réseaux sociaux, véhicules par excellence de toutes les informations sur lesquelles les médias traditionnels de service public comme privé font de plus en plus l’impasse. Evènement majeur dis-je, car de mémoire de journaliste et de simple fidèle, c’est bien la première fois que ce prélat non diocésain, inconnu du grand public, « parachuté » à la tête du plus grand diocèse du pays voici bientôt quatre ans, prend la parole aussi solennellement sur un sujet à caractère sociopolitique.
Jusque-là, il s’était muré dans une sorte de silence assourdissant auquel ses ouailles n’étaient guère habituées. Ils ne sont même pas légions dans l’archidiocèse, les fidèles qui peuvent dire avec précision qui est leur nouvel archevêque, ni comment il est, tellement il est effacé! Les plus futés d’entre eux doivent scruter les photos de réception officielle des membres de la conférence épiscopale du Bénin (ceb) pour apercevoir sa grande silhouette (il fait presque 1m90), parmi la douzaine de dignitaires qui la composent.
Quatre ans de discrétion que beaucoup d’observateurs de la chose religieuse de ces dernières années ne comprennent pas, eux qui ont connu ses illustres prédécesseurs, que sont le cardinal Bernardin Gantin, inimitable pour son timbre de voix si particulier et Mgr Isidore de Souza de regrettée mémoire, autant pour sa truculence et sa verve que pour ses œuvres sociales inestimables. Pour ne rien dire de Mgr Robert Sastre, un maître de la parole au style corrosif, qui n’avait pas sa langue dans sa poche.
‘’Nous ne pouvons ne pas parler ‘’
Cependant, avouons-le d’emblée, pour ce premier coup, Mgr Houngbédji a vraiment frappé, pour ainsi dire , un coup de maître, par le choix des mots pour appeler les ‘’fidèles catholiques et les hommes de bonne volonté’’ au calme et à la sérénité, par ces temps de pandémie. Rien d’étonnant à cela ! C’est un érudit qui, de surcroît, a à son actif plusieurs ouvrages. Il est docteur en Ecritures saintes, ancien professeur à la célèbre Université catholique de l’Afrique de l’ouest à Abidjan.Dans son message bref mais dense, Il dit clairement comprendre les autorités politiques à travers les mesures restrictives prises pour contrer la pandémie.
Mais il s’offusque de ce que lesdites mesures prorogées indéfiniment peuvent devenir un frein au droit du citoyen de pratiquer la religion de son choix. Mgr Houngbédji ne nous avait pas habitués à cette concordance des temps du discours avec ceux des faits de la vie courante des Béninois. On ne l’a pas du tout entendu, lors des tueries des 1er et 2 mai 2019 à Cadjèhoun , non loin de chez lui , encore moins celles perpétrées à huis clos à Tchaourou et Savè plus loin. Le covid 19 est passé par là !
Heureusement ! Le coronavirus et les contraintes qu’ils nous imposent à tous en effet est l’occasion choisie par le prélat, pour délivrer ce message qui se veut avant tout , celui du réconfort pour les fidèles catholiques , d’exhortation à la patience mais d’indignation devant ce qui apparaît comme les incohérences des pouvoirs publics. Ce faisant, l’archevêque de Cotonou est venu appuyer tous les écrits d’un trio de prêtres cette semaine qui s’achève qui ont courageusement exprimé individuellement leur indignation, à l’occasion de ce fiasco médiatique qu’a été la dernière sortie de celui qu’on appelle familièrement le « Dircom » de la présidence de la République. D’où l’évocation du cri de cœur et d’indignation de l’apôtre Pierre devant les persécuteurs des premiers chrétiens : « nous ne pouvons ne pas parler »
Cette double négation à valeur affirmative, Mgr l’archevêque de Cotonou l’a répétée, tel un leitmotiv, six fois dans le message, comme pour dire que le danger qui plane sur le pays est trop grave pour qu’il s’autorise à continuer à se taire. C’est donc sur un ton ferme à l’adresse de qui de droit qu’il affirme à la suite de l’apôtre Pierre que le pasteur qu’il est ne peut continuer à se taire en effet devant le maintien de la fermeture des lieux de culte placés sur un pied d’égalité avec les marchés et supermarchés et autres lieux de divertissement ». L’indignation de l’archevêque est à son comble, lorsqu’il utilise les termes très forts comme ‘’ écœurant et outrageant ‘’, pour qualifier des propos qui visent à reléguer la religion au rang « des choses non essentielles ». Une allusion à peine voilée au lapsus linguae délibéré de ce communicant mal inspiré et en panne d’imagination.
Le jour d’après… dans le monde d’après
L’archevêque de notre capitale économique ne s’est pas contenté de s’indigner. Il pense à demain et propose déjà une sorte d’assises nationales (on ne voit pas comment il pourrait en être autrement), pour engager des réflexions en toute sérénité sur ‘’notre santé socio-politique ecclésiale, spirituelle et même pastorale.’’ Cette proposition rejoint les discours entendus ailleurs sur le monde d’après le corona virus, un monde qui sera à n’en point douter différent du monde d’avant. De ce point de vue, le prélat de l’archidiocèse de Cotonou a une vraie carte à jouer.
Car, au-delà de l’indignation légitime que suscitent les incohérences dans la gestion de cette pandémie aggravées par les dérapages verbaux des séides de la Rupture et leurs sycophantes, il doit saisir cette aubaine pour s’inscrire dans la lignée de ses illustres prédécesseurs. Pour redonner au clergé catholique du Bénin le rôle qu’il a toujours joué dans les moments de crise. Sans promiscuité ni compromission avec tous les pouvoirs temporels successifs qui lui ont toujours reconnu et concédé cette place et ce rôle.
Son message lui donne l’occasion de remettre en selle toute la conférence épiscopale du Bénin bloquée dans son rôle de médiateur par la volonté des tenants du pouvoir d’asseoir avec la ruse et la rage leur politique d’exclusion des forces opposées au retour en force de la pensée unique vomie à la conférence Nationale de février 1990 dont nous avons célébré le 30 ème anniversaire cette année dans l’indifférence et la division savamment entretenue. De ce point de vue, notre clergé, naguère pionnier, a un modèle en Afrique aujourd’hui : la conférence épiscopale de la Rdc.
Si, les jours d’après le coronavirus, l’archevêque du grand diocèse de Cotonou pouvait définitivement sortir du bois, pour accompagner ses fidèles et, par ricochet l’ensemble des populations de ce pays, et poser ces problèmes simples de liberté d’expression plurielle et de droit à la différence dans un pays uni et prospère, il prendrait sa part dans le combat livré par ses prédécesseurs contre le monolithisme et l’exclusion. Car,2021 c’est demain ! Après son message très fort d’exhortation et d’indignation, Mgr Roger Houngbédji n’a donc plus le droit de se taire devant les dérapages d’un pouvoir répressif et exclusif arcbouté sur ses choix discutables et suicidaires et qui croit avoir ‘’fermé la bouche’’ à tout le monde. Car, depuis l’avènement de ce régime qui a procédé par petites touches au détricotage en règle de tous les espaces de liberté conquis de haute lutte, notre pays a cessé d’être un Etat de droit, le champion toutes catégories de la démocratie en Afrique et dans le monde.
Vincent Foly (Edito)
Laisser un commentaire