Chaque année, la période d’octobre à février est celle par excellence de la récolte du coton dans les bassins cotonniers du Bénin. Dans la commune de Banikoara, dans le département de l’Alibori, la main d’œuvre qu’exige cette activité se fait de plus en plus rare. Ce qui conduit nombreux de ses producteurs, à recourir à des enfants scolarisables pour sauver leur production au péril de l’avenir de ces derniers. Une véritable exploitation des enfants, en violation flagrante du Code de l’enfant qui à la peau dure à Banikoara.
La production du coton a favorisé l’émergence de deux phénomènes à Banikoara. Il s’agit du travail et du trafic des enfants. Ce sont deux phénomènes dramatiques qui sont très développés au niveau de cette commune. En effet, quelle triste image que de voir les enfants occupés à récolter le coton dans les champs du lever du jour à la tombée de la nuit ? À l’approche de la saison des récoltes, confrontés à un besoin accru de la main d’Å“uvre et face à l’immensité de la tâche, les cotonculteurs sollicitent les services de personnes extérieures. Ce besoin s’explique par le souci du cotonculteur de récolter son produit à temps, afin de gagner un peu en poids au kilogramme, puis percevoir rapidement l’argent de coton afin de pouvoir faire face aux charges financières des activités comme le mariage, les cérémonies funéraires, l’achat d’une nouvelle moto, ou des constructions pour certains.
Les départements de l’Atacora-Donga constituent le vivier pourvoyeur de ces enfants qui sont exploités dans les champs de coton au cours de cette période. Il s’agit notamment des communes de Kérou et Péhunco. Ceci, depuis que l’offre se fait de plus en plus rare du côté du Burkina Faso d’où affluaient les ouvriers, a confié un producteur rencontré dans l’arrondissement de Goumori. Les producteurs se donnent tous les moyens, pour avoir ces enfants, a-t-il précisé. « Ils sont très souvent âgés de 9 à 17 ans au plus, ces enfants garçons et filles qui travaillent dans les champs de coton, même si on y retrouve des personnes adultes. Ils proviennent des communes de l’Atacora-Donga », renseigne une source proche du Centre de promotion sociale de Banikoara. La même source indique qu’en novembre 2019, environ 20 enfants ont été interceptés dans un mini-bus en provenance des communes de Kérou et Pehunco, avec comme destination les champs de coton pour divers travaux. Le conducteur et le convoyeur ont été présentés au Procureur de la République et les enfants, retournés à leurs parents.
Le mode opératoire
Le mode de transport et de transit des enfants laisse à désirer. L’acheminement se fait de façon clandestine, souvent tard dans la nuit et les producteurs ou les démarcheurs empruntent des routes tortueuses et risquées. Tout ça, pour contourner le dispositif sécuritaire et de surveillance du trafic d’enfants pour une exploitation illégale. Ils sont remorqués souvent sur une moto à trois, quatre ou cinq, a indiqué un agent du service de la protection sociale de Banikoara. Les producteurs de coton mettent tous les moyens de leur côté, pour avoir la main d’œuvre. Ainsi, les conducteurs de taxi-moto communément appelés « zémidjans » sont mis à contribution. Ces derniers parcourent lesdites communes à la recherche des enfants. Dès qu’ils arrivent à les trouver, ils se chargent de les convoyer à moto dans les champs contre de l’argent que les producteurs doivent payer. « Moi, je vais à Péhunco à la recherche des enfants pour faire la récolte du coton à Banikoara. Je gagne plus que si je fais zémidjan dans Banikoara », a confié Boukari Abdoulaye, un conducteur de taxi-moto. « Pour le transport d’un enfant, le producteur paie entre 6 000 F Cfa et 8 000 F Cfa multiplié par le nombre d’enfants que tu trouves. C’est beaucoup mieux que de rester à Banikoara », se réjouit-il.
Abdou Dine, un étudiant en linguistique à l’Université d’Abomey-Calavi et natif de Banikoara en séjour dans la commune, explique qu’à la recherche de la main d’œuvre, certains producteurs de coton utilisent le service des « démarcheurs ». « Les démarcheurs parcourent les routes poussiéreuses des communes de l’Atacora à leurs propres frais, à la recherche d’enfants à placer auprès des paysans producteurs de Banikoara. Les enfants, une fois ramenés à Banikoara, sont confiés aux producteurs contre une somme d’argent constituée du transport aller-retour du démarcheur et de la caution que ce dernier a versé aux parents des enfants », a expliqué Abdou Dine.
Un business rentable
Arrivé dans les familles d’accueil à la recherche d’enfants pour la récolte du coton dans les champs, les parents de ceux-ci signent un accord. Ils exigent une garantie numéraire à payer avant de les laisser partir. Des paquets de tôles ou de ciment sont souvent exigés. Après satisfaction, les enfants sont remis aux démarcheurs pour aller travailler dans les champs souvent inconnus des parents.
Parfois, certains élus locaux sont au courant de l’existence du trafic et de l’exploitation des enfants dans les champs. Ils cautionneraient la chose, en contrepartie des pots-de-vin à eux versés, a laissé entendre une personne qui a requis l’anonymat.
Les enfants sont prisés pour la récolte du coton, parce qu’ils constituent une main d’œuvre docile et bon marché contrairement aux adultes qui sont plus exigeants, surtout en matière de rémunération, explique une source proche de la CPS Banikoara. Et à la même source de poursuivre, pour indiquer « qu’il est plus facile pour un producteur de payer 1000 ou 1500 F Cfa par jour à un enfant qu’à un adulte ». Pendant ce temps, Rachidi Sero, un ancien agent du Carder, soutient que comme il s’agit des enfants dont les droits sont violés, la rémunération se fait au prorata du service demandé et exécuté. Le revenu journalier est à 800 F / jour ou 1000 F / jour, selon l’humeur du producteur. Dans le but d’abattre plus de tâches pour espérer à la fin de la journée, un revenu plus ou moins consistant, les enfants se dopent avec des produits stupéfiants très toxiques et nocifs pour l’organisme humain. Du tramadol, de la caféine, et même du chanvre indien sont utilisés, s’est-il désolé.
Mauvaises conditions de travail
Les enfants travaillent pendant plus dix heures par jour. Ils sont souvent mal nourris et dorment dans les fermes, garçons et filles, dans des conditions pénibles, s’est indigné Abdou Dine.« Plus de 8 heures de travail pour ces enfants manÅ“uvres. Au réveil, dès 7 heures, ils sont à pieds d’Å“uvre dans les champs de coton. La journée vient ainsi de démarrer et elle sera bouclée autour de 19 heures, au coucher du soleil ». Or, l’article 213 du Code de l’Enfant dispose que « l’enfant ne peut pas travailler plus de quatre heures par jour, sans repos ». Mieux, l’article 214 du même code interdit le travail de nuit chez les enfants.
« D’autres vont au-delà de 19 heures, avec des lampes torches attachées au front et ceci, jusqu’au petit matin. Juste pour vite finir et entreprendre un autre contrat avec d’autres propriétaires qui guettent la libération des bras valides qu’ils constituent. Ils sont acceptés en fonction de leur efficacité et de leur endurance », relate Rachidi Sero, un ancien agent du Carder.
Les conséquences de cette activité qui nourrit beaucoup de personnes sont énormes pour ces enfants exploités sans aucune protection sanitaire. Ils sont contraints de s’adonner à l’alcoolisme, au tabagisme et aux abus sexuels, parce que livrés à eux-mêmes dans une ferme. « Des mineures qui se livrent à ce marché de sexe, souvent les soirs, du retour des champs, juste à la recherche de gain pour compléter leur avoir journalier », a laissé entendre un agent AIC qui ajoute la déperdition scolaire et les risques sanitaires liés aux intrants phytosanitaires qui sont utilisés dans la production du coton. Des cas de grossesses non désirées, des maladies sexuellement transmissibles ou encore des grossesses sans paternité ont été enregistrés, a également fait observer une source policière.
Les sanctions encourues
La loi N° 2015-08 du 08 décembre 2015 portant Code de l’Enfant en République du Bénin en son chapitre VII, interdit toutes formes d’exploitation de l’enfant. Ainsi, tous ceux qui s’adonnent au trafic et à l’exploitation des enfants comme c’est le cas dans la commune de Banikoara pendant la période de récolte de coton, s’exposent à des sanctions. A cet effet, l’article 397 du Code de l’enfant dispose : « Quiconque emploie sciemment en République du Bénin, la main d’œuvre d’un enfant provenant de la traite d’enfants, quelle que soit la nature du travail, est puni d’une amende de cinq cent mille (500.000) francs à cinq millions (5.000.000) francs et d’un emprisonnement de six (06) mois à deux (02) ans ou de l’une de ces deux peines seulement. Les mêmes sanctions sont prévues par la loi 2006-04 du 10 avril 2006 portant condition de déplacement des mineurs et répression de la traite d’enfants en République du Bénin en son article 22.
Porte de sortie…
Dans les recherches de solution pour endiguer le travail des enfants dans la commune de Banikoara, Rachidi Séro croit savoir qu’il faut engager des actions d’éducation et de sensibilisation sur le phénomène d’exploitation des enfants à l’endroit des cotonculteurs de Banikoara. Aussi, faudra-t-il alterner la sensibilisation et la répression de cette pratique qui inflige un traitement inhumain et dégradant à l’enfant qui reste un être vulnérable, a insisté une source proche du centre de promotion sociale de Banikoara. Pour ce faire, il faut une synergie d’actions pour arriver à bout de ce phénomène.
Par Max CODJO Partenariat OSIWA-LNT
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