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(ENQUETE) Mutilations génitales féminines dans le Borgou : une pratique qui résiste à la loi et au temps

L’excision dans la partie septentrionale du Bénin est une pratique culturelle séculaire. Des milliers de jeunes filles et femmes ont été et continuent d’être victimes de cette pratique avec des séquelles sur leurs vies intimes. C’est d’ailleurs, au regard de l’ampleur des dégâts que le Bénin s’est doté d’une loi qui interdit l’excision. Mais le constat est là, le phénomène perdure, elle continue de se pratiquer. Les exciseuses et autres acteurs ont changé de stratégies pour agir sans craindre les représailles. 

L’excision est une mutilation qui consiste en une ablation rituelle du clitoris et parfois des petites lèvres, pratiquée chez certains peuples sur les petites filles souvent avant l’âge de 5ans parfois sur les jeunes dames. Au Bénin, certaines sources proches des ONG engagées dans la lutte contre les mutilations génitales féminines (MGFs) indiquent que le taux de prévalence des MGFs s’élève aujourd’hui à 13 %.Pendant que le nombre de filles qui risquent de subir l’excision est estimé en Afrique à trois millions chaque année, une tendance haussière de ce nombre est projetée d’ici 2030. La tranche d’âge de ces dernières est de 15 à 19 ans. La Somalie (98 %), la Guinée (97 %) et Djibouti (93 %) viennent en tête de peloton des pays dans lesquels, la prévalence des MGFs chez les filles et les femmes de 15 à 49 ans est la plus élevée. 

En République du Bénin, ce sont les communes de la partie septentrionale du Bénin qui sont le terreau fertile de cette pratique. Dans les départements du Borgou-Alibori, les communes de Banikoara, Pèrèrè, Kandi, Nikki et Ségbana sont les plus touchées par ce phénomène rétrograde. De façon empirique, le phénomène s’observe beaucoup plus en milieu baatonou, peulh et Gando. Les communes frontalières du Nigéria sont les communes dans lesquelles on enregistre plus de cas. Les groupes socio-ethniques ou culturels qui pratiquent le plus les MGFs, sont les peulhs Gando, les baatonou et les Boo et assimilés. 

C’est une pratique qui a la peau dure et qui résiste à la loi, en l’occurrence la loi N° la loi N° 2003-03 portant répression de la pratique des mutilations génitales féminines en République du Bénin qui l’interdit sur l’ensemble du territoire. Le gouvernement et les organisations de la société travaillent depuis pour une tolérance zéro à l’égard des MGFs. Face à la lutte enclenchée contre l’excision renforcée par un arsenal juridique, les exciseuses ont changé de stratégies pour perpétuer en toute impunité cette pratique dont les causes, très ancrées dans les traditions, a déclaré Salifou Kimba responsable Nord de CUSO international, une ONG internationale de droit canadien engagée dans la lutte contre les MGFs. 

La « déterritorialisation » de l’excision

De nouvelles stratégies sont adoptées par les exciseuses et leurs complices pour pratiquer l’excision dans les départements du Borgou-Alibori. Il s’agit de la « déterritorialisation ». « L’excision ne se fait plus en public entourée de rituel et de fête autour d’un gros arbre parce que c’est désormais interdit », a indiqué Salifou Kimba de CUSO international, qui précise qu’elle se fait beaucoup de nos jours de façon clandestine sans le rituel. En effet, « Les exciseuses vont s’installer dans les villages  du Nigéria voisin pour le faire.Les communes frontalières sont championnes dans cette façon de pratiquer désormais l’excision », a-t-il poursuivi. En clair, l’exciseuse quitte son milieu habituel pour aller s’installer ailleurs, très loin des regards et les parents des candidates à l’excision ont l’information de bouche à oreille puis y conduisent leurs enfants à cet endroit éloigné et difficile d’accès pour les faire exciser. Une façon de faire que confirme Mohamed Alidou, directeur exécutif de l’ONG Association pour la Protection de l’Enfance Malheureuse (APEM) qui est également engagé dans la lutte contre l’excision dans les départements du Borgou-Alibori à travers des activités d’information, d’éducation et de sensibilisation. 

Intervenant au cours d’une émission grand public au micro de Deeman Radio émettant depuis la commune de Parakou, Sacca Dado une jeune femme de l’arrondissement de Gninsy dans la commune de Pèrèrè dans le département du Borgou, située à 513 kilomètres de Cotonou, la capitale économique du Bénin, a déclaré que l’excision a toujours été une violence faite aux femmes. Levant un coin de voile sur son expérience personnelle de l’excision, Sacca Dado confie avec regret : « Mais pour moi, j’ai perdu connaissance durant trois jours, c’est le quatrième jour, que j’ai remarqué que j’ai été excisé si cela avait tourné au vinaigre, je ne serai plus de ce monde».Elle poursuit pour indiquer « mon sexe était bouché vous savez par quoi ? Par le sang, ils ont utilisé les plantes médicinales, de l’eau chaude pour déboucher mais toutes les tentatives ont été vaines ». Elle a déclaré avoir ressentie une vive douleur et gardée des séquelles de l’excision, ce qui l’amène à déconseiller cette pratique. 

Pendant ce temps, dame Toko Marguerite allègue que la vertu de l’excision résidait dans le fait qu’une femme excisée trouvait facilement un mari par le passé contrairement à une autre qui ne l’était pas même si elle reconnait que l’excision est une violence faite à la femme. « La douleur de l’excision était une épreuve pour faire comprendre à la jeune fille que le sexe c’est après le mariage », explique Soumailla Boukari Tairou, un sage de Pèrèrè qui précise que cela contribue à consolider la virginité de la femme. 

Généralisation de l’excision 

L’excision qui se pratiquait sur les filles préadolescentes et adolescentes, c’est-à-dire dont l’âge varie entre 9 et 12 ans, a changé de cap. Elle prend désormais en compte des enfants pour ne pas dire des bébés, a confié Salifou Kimba. Les  filles sont excisées à un âge plus jeune. A cela, s’ajoute les bébés ou les nouveau-nés qui sont excisées à l’occasion du baptême, parfois à l’insu du père de l’enfant. La cérémonie de rasage de la tête du bébé est mise à profit pour procéder à l’excision, quant il s’agit d’une fille loin des regards, a révélé Salifou Kimba. Beaucoup d’acteurs travaillent dans l’ombre pour le maintien de cette pratique. « Ce sont les femmes qui prennent la décision d’exciser leur enfant fille. Il y a aussi les exciseuses attachées au respect de la tradition », avance Mohamed Alidou, directeur exécutif de l’ONG APEM. De façon générale, ce sont les exciseuses qui justifient leur acte par une volonté de perpétuation de la tradition et c’est souvent la grand’mère qui prend la décision.« De nouveaux acteurs sont entrés en jeu, parce que le phénomène est entré dans la clandestinité », renchérit Salifou Kimba. Il explique qu’il y a les coiffeurs traditionnels communément appelés « wazam » dans le Nord du Bénin, qui ont des couteaux traditionnels pour raser les enfants lors des cérémonies de baptême et faire la circoncision aux petits garçons. Ces derniers sont désormais associés à la pratique des MGFs notamment l’excision. Dans les communes de Ségbana et de Malanville dans le département de l’Alibori, les MGFs dont l’excision sont déjà pratiquées à l’occasion des baptêmes.

Les conséquences de l’excision 

Au nombre des conséquences de l’excision, Dr Maturin Ayitchéhou GANGLO, Médecin Diplômé d’Etat en service à l’hôpital de Tanguiéta a indiqué partant de la définition de l’excision, « qu’elles sont multiples et sont pour la plupart du temps ignorées et peuvent engager le pronostic vital de la victime ». Il a évoqué les conséquences physiques et les conséquences psychiques ou psychologiques qui peuvent subvenir dans l’immédiat ou à long terme sur la victime. Il est à redouter « des saignements parfois réalisant des hémorragies graves pouvant conduire à ce que l’on appelle médicalement l’état de choc hypovolémique qui rapidement engendre la mort puisqu’elle est pratiquée dans un milieu traditionnel sans asepsie», fait-il savoir. Des infections graves comme le VIH et les hépatites sont au rendez-vous à cause des conditions peu hygiéniques et précaires dans lesquelles l’excision est réalisée. A cela s’ajoute les problèmes sexuels, urinaires et menstruels ; des douleurs lors des règles ; l’apparition des chéloïdes qui sont des masses cicatricielles parfois exubérantes gênant le confort sexuel ; la diminution de la libido ; des cicatrices très rétractiles inesthétiques à l’origine de complications obstétricales et l’infertilité, a insisté Dr Maturin Ayitchéhou GANGLO. Sur le plan psychologique, le médecin diplômé d’Etat évoque de graves détresses dues au traumatisme psychique que crée l’excision chez la femme. Ce qui peut entraîner le suicide, des troubles anxieux, le repli sur soi et une aversion poussée pour les rapports sexuels. 

« L’excision peut générer à long terme, au plan obstétrical la survenue de fistules obstétricales. Pour ces femmes, c’est un travail d’accouchement qui devient très long et difficile. Parce qu’il y a une modification complète de l’anatomie de la femme, donc le fœtus ne peut plus sortir aisément. Ce qui entraine une compression de la tête, de la paroi vésicale ou de la paroi du rectum entre les parties osseuses de la femme et la tête du fœtus accompagné de nécrose. Ce qui fait qu’après l’accouchement, il y a les fistules obstétricales », a déclaré Awadé Afoukou Achille OBOSSOU Médecin gynécologue obstétricien et enseignant chercheur à la Faculté de Médecine de l’Université de Parakou, pour affirmer que l’excision peut bel et bien entraîner les fistules obstétricales en plus des autres conséquences évoquées par Dr Maturin Ayitchéhou GANGLO

Les moyens de lutte contre le phénomène

Aux côtés de l’Etat, qui a marqué sa volonté ferme d’enrayer le mal, à travers la loi N° 2003-03 portant répression de la pratique des mutilations génitales féminines en République du Bénin, de nombreuses organisations non gouvernementales tant nationales qu’internationales se sont positionnées dans la lutte contre l’excision. A cet effet, des actions sont menées à l’endroit des populations. Au nombre de ces ONGs, il y a CUSO international, APEM Ong, Ong Equi-Filles, Plan international etc… L’information, l’éducation, la communication et la dénonciation sont les moyens de lutte utilisés contre l’excision, informe Mohamed Alidou qui précise que sa structure a organisé plusieurs cérémonies de remise de couteaux au cours desquels, les exciseuses ont déposé les couteaux et pris l’engagement de tourner dos à cette pratique. Les sensibilisations mettent beaucoup plus l’accent sur les conséquences néfastes de cette pratique et informent de l’existence d’une loi qui réprime les auteurs des MGFs. CUSO international met en œuvre depuis avril 2019, un projet dénommé Femmes engagées pour la Dignité Humaine Djirima « FEDIH-DJIRIMA » dans les communes de Borgou-Alibori, un projet qui lutte contre les mutilations génitales féminines (MGFs) notamment l’excision. Cette organisation mise sur l’éducation, le soutien des fillettes et des survivantes et la participation des hommes à des discussions sur les relations positives pour un changement durable de comportement, a indiqué Salifou Kimba. 

Pour ces deux acteurs de la lutte contre l’excision, il est important de continuer la lutte et espérer un recul du phénomène car, il y a une prise de conscience progressive.Ils reconnaissent l’accompagnement des centres de promotion sociale ; des agents de changement dans les villages ; et surtout les agents de changement et personnes leaders qui sensibilisent les masses pour l’abandon de cette pratique au niveau communautaire.

Par Max CODJO Partenariat OSIWA-LNT

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