Aller à l’école et y rester jusqu’à la fin du processus est encore un luxe dans maintes régions rurales du Bénin. Pour plusieurs raisons, les filles sont contraintes à l’abandon. C’est le cas à Toviklin où le taux de déscolarisation des filles monte de façon vertigineuse en dépit des acteurs faits par le gouvernement et les acteurs locaux.
Au Bénin, la constitution en son article 13, affirme que « l’enseignement primaire est obligatoire ». Il est également garanti par le dernier alinéa de l’article 7 du Code de l’enfant qui stipule que l’enfant a le droit à accéder à l’éducation de base obligatoire, à la formation professionnelle. La scolarisation est obligatoire, de la maternelle à la fin du cycle primaire. Et les parents ont l’obligation d’inscrire leurs enfants à l’école sans aucune forme de discrimination (article 113). Mais, voilà. Le constat sur le terrain n’est pas tout autre. «Beaucoup d’élèves filles n’arrivent pas à avoir un cursus scolaire », indique E.D., une source de la commune.Un directeur d’école primaire publique d’un des arrondissements de Toviklin confie «sur une trentaine d’abandon enregistrée au cours de l’année scolaire écoulée, on dénombre 21 filles ». Il en a même dans les quelques autres écoles primaires sillonnées.
Le constat est le même dans des collèges de la commune. Selon un surveillant de l’un des collèges, sur la quinzaine d’abandon enregistrés, on dénombre 9 filles. A Kpohoudjou dans l’arrondissement central de Toviklin, Rocadin Houinsou, chargé de programme de l’ONG Tofodji, a connu un cas. «J’ai vu une fille qui a eu son BEPC. Et dans la même année, son papa a dit qu’elle ne va plus continuer. J’ai cherché à savoir pourquoi. Mais, le père dit que même si elle continue jusqu’en terminale, ça ne va rien donner », raconte-t-il. Sans réelle raison, ce parent a décidé que sa fille mette fin à son cursus scolaire. Les cas sont légion et beaucoup de filles sont déscolarisées dans un certain anonymat comme si c’était de l’ordre normal des choses.
Projet SWEDD, un baromètre ?
E.D. indique que la mise en œuvre du projet SWEDD (Autonomisation des femmes et dividende démographique au Sahel au Bénin) permet de se rendre compte de l’effectivité du phénomène à Toviklin. Ce projet, par exemple, a mis des fournitures scolaires à la disposition des filles du CM1 jusqu’en Terminale. Mais, «ces fournitures sont venues un peu après la rentrée ». Pendant la distribution de ces fournitures, «on s’est rendu compte que sur plus de 100 kits, c’est une infirme quantité qui a été distribué parce que les filles préalablement identifiées sont restées introuvables ». Il reconnait que certaines des filles ont changé d’école mais «le grand nombre a été déscolarisé ». Pour preuve, «il y en a eu qu’on est allé chercher à la maison et à qui on a remis les fournitures afin qu’elle recommence l’école alors même que la rentrée a commencé depuis quelques semaines ».Pour le primaire 41 kits ont été envoyés pour les 41 filles identifiées au préalable. Mais, «c’est 24 filles qui ont été vues et servies ». Au collège, c’est le même constat.
La paupérisation
L’un des causes de la déscolarisation des filles à Toviklin est la pauvreté. A en croire E.D., plusieurs parents n’ont pas les moyens de faire face aux charges scolaires de leurs enfants. «L’enfant que vous avez soutenu en début de rentrée scolaire en lui payant une partie de la contribution peut venir vous voir en janvier pour vous dire qu’il ne peut plus continuer. Parce qu’il n’a pas pu trouver le reste de la contribution », soutient Rocadin Houinsou. Parfois, «vous rencontrez une fille à l’heure de l’école. Quand vous l’interpellez, elle vous dit qu’elle ne va plus à l’école ». En réalité, «elle vous explique que pendant les vacances elle s’est adonnée à des petits jobs pour avoir de moyens pour payer la scolarité et ses fournitures ». Mais, «elle n’a pas réussie à réunir assez d’argent ». Il soutient que quand on veut appuyer les filles pour leur maintien à l’école, on se rend compte que beaucoup n’ont même pas de tenue Kaki. Rocadin Houinsou informe qu’il a reçu une fille dernièrement à son bureau. Depuis le début de la rentrée scolaire en cours, elle n’a pas encore de tenue Kaki. Parce que ses parents n’ont pas les moyens.Le problème peut aussi venir de la fille. Elle peut estimer qu’elle est assez grande et ne se voit plus aller à l’école. Ceci peut être à cause du mauvais rendement scolaire. Il y a aussi le fait du mariage forcé. Certains parents arrachent leurs filles de l’école pour les donner en mariage. Les grossesses non désirées aussi font partie des causes de la déscolarisation des filles dans cette commune. Il y a également un fait sociologique qui favorise la déscolarisation des filles.
Une pesanteur sociologique
Barthérlémy Zinsou, président des religions endogènes et président des praticiens de la médecine traditionnelle du Couffo informe que beaucoup de parents à Toviklin ne voient pas l’intérêt de mettre une fille à l’école ou de l’y maintenir. Pour eux, c’est une perte d’investir sur une fille qui à la fin doit aller se marier. Selon E.D., une source bien introduite dans la protection des filles dans la commune, «si la fille réussit à avoir le Certificat d’étude primaire (CEP), le père estime qu’il a déjà beaucoup fait pour elle ». Il préfère continuer à investir dans le cursus scolaire de son garçon plutôt que de sa fille. Et c’est la maman qui va prendre peut-être le relai. Pourtant, c’est bien la période où les charges sont considérables et au primaire l’enseignement est gratuit. Quand la fille arrive à obtenir le BEPC, «c’est qu’elle est déjà un gros cadre ». La situation est bien préoccupante. Rocadin Houinsou fait une confidence : «récemment j’étais au ministère des Affaires sociales quand la directrice de cabinet me disait qu’elle a honte. Chaque fois qu’on indexe le Couffo pour dire que les filles ne vont pas à l’école là-bas. Les filles abandonnent les classes. Elle demandait comment faire pour changer la donne. Elle m’a même proposé de monter un projet pour sensibiliser les populations. Elle m’a dit ça, il y a moins d’un mois».
Renforcer les dispositifs existants
E.D. estime que le mécanisme pour changer la donne existe. Les enfants qui sont sujets à la déscolarisation, peuvent être catégorisées. C’est soit les enfants de parents âgés, ou des enfants sous tutorats de quelqu’un qui a lui-même beaucoup d’enfants ou des enfants orphelins (de père, de mère ou des deux) ou des enfants qui sont sous la monoparentalité. C’est dans ces catégories d’enfant qu’on rencontre beaucoup de filles déscolarisées. Or le système de protection béninois a prévu un mécanisme d’identification et de prise en charge de ces enfants-là qui est appelé le Répertoire des orphelins et enfants vulnérables. Quand ces enfants sont catégorisés, c’est que l’Etat veille à leur scolarisation ou bien à leur mise en apprentissage. La tranche d’âge est de zéro à 18 ans. Le souci est que le besoin est, mais la prise en charge ne prend pas en compte tout le monde. Par exemple, à Toviklin en 2019 pour une base de 653 enfants scolarisés (399 filles et 254 garçons), l’Etat a envoyé 17 kits scolaires. En 2020, la base actualisée donne 1674 enfants (les scolarisés, les apprentis et autres enfants vulnérables) et l’Etat n’a envoyé que 50 kits scolaires. Il relève que chaque commune du Bénin a sa base. Donc, il faut renforcer le mécanisme en fournissant les kits scolaires, des kits alimentaires et les étendre au grand nombre et à temps.
La sensibilisation aussi doit se poursuivre et il faut trouver un mécanisme de suivi de ces enfants et de leurs parents. Le renforcement des cantines scolaires peut jouer un grand rôle dans le maintien des enfants à l’école. Le respect aussi des textes en vigueur doit être de mise. «Le Code de l’enfant dit que tout enfant Béninois doit au moins avoir un niveau du CM2. Et si on doit le déscolariser, c’est qu’on doit l’orienter vers une formation technique professionnelle », informe-t-il. Donc, il faut trouver le moyen de contraindre chaque parent à respecter le code. Il faut mettre la pression sur les parents pour qu’ils comprennent que c’est de leur obligation de mettre et de maintenir les enfants à l’école. Dans certains cas, Rocadin Houinsou préconise une réorientation des filles. C’est d’ailleurs pourquoi, il compte ouvrir un centre d’apprentissage le 10 mars 2021 pour accueillir 30 filles déscolarisées. Ces filles vont apprendre à faire du Kanvo (pagne tissé). Une chose est bien évidente, il faut revoir et renforcer les politiques mises en place pour le maintien des filles à l’école à Toviklin comme dans tout le Couffo.
Prince Amassiko, partenariat LNT-OSIWA
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