,

(ENQUETE) Filière noix de karité : gros risques pour les femmes, fortunes intéressantes pour les étrangers

Dans l’Atacora et la Donga, elles sont des milliers de femmes qui bravent toutes sortes de difficultés pour aller ramasser des noix de karité et les transformer en amandes ou en beurre. Il s’agit d’une activité périlleuse et peu  sécurisée qui exposent ces femmes. Pendant ce temps, les vrais bénéficiaires que sont sociétés étrangères  viennent racheter ces produits, à cœur joie à des prix dérisoires et les exportent. Les produits dérivés reviennent plus tard et plus chers dans les officines de la place.

C’est une espèce végétale naturelle  très répandue dans le nord et le centre du Bénin. Une mine de revenus qui  mobilisent de plus en plus les femmes rurales depuis de nombreuses années. Mais dans la réalité, le karité se révèle  à ce jour comme une filière corvéable pour les  acteurs,  quoique prometteuse au regard de ses incalculables avantages.  N’Sa Marcelline, responsable du Groupement des femmes, collectrices et  productrices d’amande et de beurre de karité à Perma, un arrondissement de Natitingou,  exerce cette activité depuis une vingtaine d’années.

Publicité

Au départ, c’était une affaire  familiale où avec ses sœurs et cousines, elles parcouraient plusieurs forêts locales à la période propice pour ramasser des noix de karité qui tombaient au sol. « Nous n’en avions pas forcément fait une activité commerciale, parce que le beurre de karité qui en sort nous servait énormément dans la famille pour tous les besoins: pommade, huile, savons, pansement de plaies et autres », raconte-t-elle. Le beurre de karité, particulièrement,  était un produit incontournable dans chaque famille dans tout le septentrion. Mais, avec le temps, il n’était plus seulement question de satisfaire à un besoin de maison, il fallait aussi le commercialiser, car plusieurs acheteurs commençaient à se pointer. D’où l’obligation d’en disposer en quantité suffisante. Et c’est là où le calvaire a commencé pour les femmes. 

« Nous étions de plus en plus nombreuses à aller à sa recherche dans les parcs de karité existants ici, comme ailleurs dans le nord Bénin » confie Marcelline. Parfois, elles doivent s’y rendre au petit matin, entre 5h et 6h, pour être les premières à ramasser un grand nombre de noix, confrontées ainsi a tous les risques. « Les morsures de serpents, surtout les plus venimeux sont fréquents dans leur rang. Certaines femmes en meurent si elles ne sont pas vite prises en charge », rapporte Sourou Tchéka, membre d’un autre Groupement féminin basé  à Alpha Kpara, une localité rurale de Djougou. A la croire, des décès liés à l’exercice de ce métier s’enregistrent  chaque année en leur sein.

 Mamatou Djaffou est la  Présidente de la Fédération nationale  des productrices d’amende et de beurre de karité du Bénin et est originaire de Djougou. Elle  se désole de l’état de plus en plus critique dans lequel végète cette filière pourtant porteuse. Elle a directement à sa propre  charge,  près de 2000 femmes dans la seule commune de Djougou. « Elles s’échinent à collecter des tonnes de noix de karité à chaque saison, mais les livrent à des prix dérisoires à des sociétés qui  accourent vers elles, n’hésitant pas à rallier des zones rurales lointaines pour s’en procurer », déplore M. M. Djaffou.

« Le prix du kilo nous appauvrit davantage »

 La société étrangère la plus célèbre dans l’achat des noix de karité à des prix presqu’insignifiants a pour nom Knar servie par des acheteurs locaux. « Vu les peines que nos femmes avaient .pour  collecter un grand nombre de noix mais  prêtes à les vendre à des prix  dérisoires, nous avons trouvé une formule qui consiste à les soutenir en leur octroyant de petits prêts pour subvenir à leurs besoins en attendant le moment idéal », affirme-t-elle. Le temps de collecte de noix de karité est une période de soudure où sévit la famine dans plusieurs localités de l’Atacora/Donga.  Elle dénonce également  le prix officiellement fixé par le gouvernement pour le kilo de noix de karité qui est de 100FCfa. Cela n’est point bénéfique pour les femmes, selon la présidente de la Fédération qui se réjouit quelque peu de ce que la société qui le rachète auprès des femmes a pu le monter un tout petit peu à 155F.

Publicité

Avec les frais de transport et de conditionnement, ceci revient finalement à 145f le kilo pour la femme collectrice, selon elle. Certaines femmes en collectent jusqu’à 500 kg chaque saison, gagnant autour de 72.500Fcfa, après toutes les peines vécues. « Le coût du kilo ne nous arrange pas du tout. Cela nous appauvrit davantage. Le gouvernement devrait penser à le revoir à la hausse », plaide Mamatou Djaffou. Sa plus forte doléance comme celle de nombreuses femmes qui exercent cette activité est que l’Etat pense à mieux valoriser la filière en installant des unités industrielles de transformation et de production de beurre de qualité. « Il y a  ici des femmes expertes  en transformation mais des matériels leur font largement défaut », fait- elle observer.

Pour les équipements existants, des pièces de rechange aussi sont difficiles à trouver sur place puisqu’il s’agit des machines importées. Dans plusieurs localités de Djougou comme Kolonkodé, ces machines sont en panne depuis plusieurs mois. Des magasins de stockage en nombre très restreints constituent aussi une autre source de chagrin pour la présidente de la Fédération et ses membres. Les acheteurs sont de plus en plus exigeants sur les amandes de karité qui répondent aux normes. Elles doivent êtres fermes, dures et pleines. Elles doivent avoir une odeur naturelle, agréable, être de même couleur, présenter  un aspect gras et luisant au soleil. La présidente de la Fédération dit compter par ailleurs sur l’Interprofession mise sur pied,  il y a à peine 06 mois pour mieux promouvoir la filière et défendre les intérêts de ses acteurs.

Et pourtant… des devises considérables

Dans un rapport rédigé à l’issue d’un atelier de formation des groupements de femmes intervenant dans le secteur karité, tenu à Djougou, les auteurs, Mamadou Abdoulaye socio économiste rural et Clarisse Tama, socio- anthropologue  ont évoqué les  grandes raisons qui pousseraient à dire que la filière karité est porteuse au Bénin. Il y a d’abord l’apport des devises par exportation des amandes  qui tournent autour de 1 à 2 milliards de FCFA par an. L’apport des devises par exportation de beurre de qualité aussi n’est pas moindre, environ 173 millions de FCFA par an. Ils ont aussi relevé que la filière karité crée des milliers d’emplois au niveau des femmes collectrices de  noix et transformatrices d’amandes. Les revenus générés aux femmes sont de 10 à 42 milliards par an en bonne saison et de 2 à 10 milliards en mauvaise saison, selon le Ministère de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche (Maep).

Au regard des  conditions d’exercice des activités liées à cette filière par les femmes  qui demeurent encore précaires et rudimentaires, malgré les performances économiques réalisées à ce jour,  il en découle  d’autres difficultés subséquentes dont la qualité des amandes et du  beurre  commercialisées ainsi que  la non maîtrise du marché. La faible organisation des acteurs du marché pendant longtemps avant que des initiatives  ne se prennent dans ce sens à travers les nouvelles structures faîtières, est aussi évoquée.  Ces différentes faiblesses constituent de réels goulots d’étranglement qui empêchent les acteurs à la base d’être compétitifs sur le marché international.

Il en résulte, selon les experts que la filière est confrontée à des difficultés institutionnelles et a un fort taux d’amateurisme. Ils insistent également sur un autre problème majeur qui persiste à ce jour. Il s’agit de la conservation des amandes de karité.  A les croire, elle pose toujours d’énormes problèmes aux femmes, du fait de l’inadéquation entre le matériel de conservation et la durée nécessaire. Elles conservent le  plus souvent  leurs amandes traitées dans des récipients qui ne laissent pas passer l’air et qui précipitent le processus de leur désagrégation au bout d’un certain temps. La perte des tonnes de noix dans les champs du fait de l’inaccessibilité de certaines zones est également soulignée.

Alerte sur la destruction des parcs karité

Une autre situation plus ou moins alarmante préoccupe aujourd’hui  plusieurs acteurs dans l’Atacora/ Donga et par delà dans toutes  les régions productrices de noix  et d’amande de karité. Elle est relative à la destruction des parcs karité. Ce phénomène, prend des proportions inquiétantes dans les régions à fort potentiel en ressources de karité, à savoir Borgou-Alibori, Atacora-Donga et Zou-Collines, selon une étude réalisée par l’Agence de promotion des investissements et des exportations (Apiex). Les réserves les plus importantes de karité que sont la forêt de Kérémou à Banikoara et celles des trois rivières à Kalalé sont en état de destruction avancée. Il en est de même des forêts de Bassila, de Djougou et l’axe Parakou-N’Dali-Bembèrèkè. On estime  que seulement le tiers de ce potentiel en ressources karité reste encore disponible dans ces réserves. Selon les acteurs de la filière, ce phénomène induit également, 

une baisse sensible de la production des noix de karité et du beurre de karité. «Les exportations des amandes de karité vont s’en trouver affectées en raison de la faible disponibilité résultant de la destruction des parcs de karité. Le Bénin pourrait dès lors se retrouver dans une position encore plus marginale sur la liste des producteurs d’amandes et de beurre de karité dans la sous-région ouest-africaine », affirme une source interne à la Direction départementale du Maep dans la Donga. Si les recettes annuelles que tire l’Etat de l’exportation des amandes de karité sont estimées aujourd’hui à 1,3 milliard Fcfa,  les acteurs redoutent surtout un effondrement de l’économie des communes productrices des noix de karité si rien n’est fait pour préserver les parcs à karité. On estime à plus de 500 000, le nombre de femmes rurales qui vivent directement du karité. Plus de vingt communes dont les populations ont pour activités, la transformation des amandes en beurre et la commercialisation des amandes de karité, sont touchées par la baisse des revenus des acteurs de la filière.

Si les parcs de collecte sont menacés de destruction, les unités de transformation des amandes de karité en beurre souffrent, quant à elles, d’un manque d’eau potable. Selon les acteurs, la quasi-totalité de ces unités est dépourvue de points d’eau. Or, les techniques améliorées de ramassage, de collecte et de traitement des noix et amandes de karité ainsi que celles de la transformation des amandes de karité en beurre sur lesquelles plus de 50 000 femmes sont formées, sont très exigeantes en disponibilité d’eau potable. 

Les acteurs demandent également au Gouvernement de doter de points d’eau toutes les unités de production de karité qui ont déjà bénéficié d’un complexe karité de la part de l’Etat béninois et d’autres partenaires dans dix communes pilotes des départements du Borgou-Alibori et de l’Atacora-Donga. Ils suggèrent également l’implication des entreprises privées telles que Knar Bénin et Fludor Bénin S.A dans la mise en place des forages moyennant des exonérations fiscales de la part de l’Etat.

La question de l’accès aux crédits revient également dans les difficultés de la filière qualité. Plus spécifiquement, il est question de crédits non adaptés aux besoins des transformateurs et exportateurs de beurre de karité. L’absence de financement adéquat oblige alors aux institutions de microfinance des crédits pour solliciter des crédits à taux onéreux pour répondre à leurs charges d’exploitation. On estime qu’à peine 30% de femmes transformatrices rurales ont accès aux crédits pour financer leurs activités.

Le Bénin est actuellement le quatrième producteur ouest-africain d’amande de karité après le Mali, le Burkina Faso et le Nigéria, avec un volume de production d’environ 30 000 tonnes d’amandes sèches. Le karité apporte une contribution importante à la création de la richesse dans le pays. En dehors des usages alimentaires, pharmaceutiques dont il fait l’objet, il alimente de nombreuses chaînes de valeur ajoutée. Environ 13 108 tonnes d’amandes de karité sont commercialisés localement et génèrent dans l’économie béninoise une valeur ajoutée totale d’environ 3,4 milliards de francs Cfa, d’après une étude de l’Apiex.

 » Quand on parle de chaîne de valeur, c’est le produit beurre de karité qui a toute son importance lorsqu’il se  retrouve surtout à l’extérieur, après les transformations  dans des complexes industriels appropriés en des produits de haute qualité comme les pommades de soins, les laits corporels pour les femmes, les shampoings » fait observer Silbawézé Boukari,  Geo-économiste et Directeur du Plan et du développement local  à la mairie de Djougou. Il regrette le fait que l’Etat béninois lui même n’ait pas pensé à mettre en place des unités de transformation pour mieux tirer profit de cette filière. «  Les gens viennent de l’étranger et achètent à bas prix les noix, amandes et même les beurres de karité pour aller les retraiter et les transformer en des produits qu’ils reviennent nous vendre plus cher » s’indigne -t-il. Actuellement, à le croire, des études réalisées montrent que la noix de karité en provenance de la  Donga a une qualité nettement meilleure. Elle donne assez d’huile parce que bénéficiant des conditions agroécologiques suffisantes.

Le réveil tardif du gouvernement

La filière karité, en dépit des demandes extérieures de plus en plus fortes et les multiples vertus des produits dérivés, n’a pas été une priorité pour les programmes d’actions des gouvernants successifs pendant de longues années. Le réveil quoique tardif s’est enfin opéré il y a moins d’un an. Depuis le 15 septembre 2020, en effet, une campagne officielle de commercialisation a été lancée pour la première fois à Gogounou. Et ceci avec un prix plancher du kilo de la noix de karité fixé à 100F CFA. Le président de la toute nouvelle Interprofession, Gilles  Adaman, a à l’occasion, vanté les qualités du karité béninois, toute chose, qui selon lui, contribuerait favorablement au développement des Pme et Pmi locales.   » Avec les produits du karité, amandes, beurre et autres dérivés, il est impérieux d’optimiser les exportations et de réduire le déséquilibre de la balance économique du Bénin, car de grands marchés extérieurs existent et cela exige une bonne maîtrise des opportunités » a déclaré à Gogounou, Gaston Dossouhoui, ministre  en charge de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche.  » Le karité est une filière intégrée qui a un fort potentiel de créations de valeur ajoutée en même temps qu’elle emploient un grand nombre de femmes économiquement vulnérables. Cette campagne de commercialisation permet de faire avec l’ensemble des acteurs de la filière un bilan et de prendre des engagements pour son développement et par delà, celui de l’économie béninoise » a-t-il lancé comme défi.  Une lueur d’espoir sans doute pour ces milliers de femmes du septentrion qui portent lourdement et péniblement, à ce jour,  le poids d’une filière prometteuse mais mal en point.

Erickson Assouan, Partenariat LNT-OSIWA

6 réponses

  1. Avatar de George
    George

    Moi j’ai lu 10 lignes et j’ai arrêté car je ne comprends pas l’objectif ici si ce n’est dénigrer son pays sur cette filière qui nourrit de nombreuses femmes pauvres en Afrique de l’ouest. Quand je lis les commentaires de certains ici je me demande ce qui les empêche d’investir dans l’achat des matériaux pour aider leurs soeurs à transformer sur place en beurre de karité . Vous passez votre temps à émettre des critiques sans apporter de solutions.
    Le développement de son pays se fait par ses enfants et la solidarité par une économie équitable

  2. Avatar de Gombo
    Gombo

    Bonne enquête qui met en lumière la nature d’économie de traité qui caractérise encore et toujours notre économie.
    Ke clan mafieux dont les membres et associés sont les Fludor et autres exportateurs de matières premières brutes profite de cette situation et à tout intérêt à la voir perdurer
    C’est pour cela qu’au lieu d’investir dans l’agriculture et l’industrie, faire des routes à Kalale et Gogounou, on préfère emprunter pour importer des cailloux à Avlekete, ou bitumer la Haie vive…
    Il est aussi vrai que l’on veut maintenir le pouvoir au Sud pour le reste du siècle…
    Des pieds nickelés regroupés en clan mafieux !!!

  3. Avatar de Tchit et
    Tchit et

    Limou en Fongbé, Beurre de Karité en Français, puis Shea Butter en Anglais est un produit très prisé de par le monde. Je l’utilise à l’état naturel sans le transformer, c’est sans les parfums des grandes industries et surtout plus efficace à l’état naturel.

  4. Avatar de Tchit et
    Tchit et

    C’est toujours les mêmes histoires, parlant des maux de l’Afrique. On exporte la matière première à moindre coût, puis on importe le produit fini à des prix vertigineux.

  5. Avatar de (@_@)
    (@_@)

    Plutôt qu’une vision « financiariste » je suis plutôt, sans être totalement analphabète en « culture financière », partisan de l’investissement « gagnant-gagnant » sur le long terme :
    Exonérations et conditions fiscales avantageuses CONDITIONNEES, et en retour intégration dosées des éléments de la chaine de valeur (plantation, protection des travailleuses, rationalisation de la collecte, début de transformation, etc…)

    Mais pour ça il faut « switcher » dans sa vision du monde et des béninois pour réaliser que la richesse du Bénin, c’est eux : le capital humain, les béninois
    \\\\ ///
    (@_@)

  6. Avatar de (@_@)
    (@_@)

    @Erickson Assouan « réveil tardif du gouvernement ».
    Merci à vous de pointer les lacunes dans la vision du Gouvernement, plutôt que de vous joindre aux enc… de mouches qui déblatèrent à propos de lois iniques qu’ils ont eux même votées contre argent
    \\\\ ///
    (@_@)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité