Maître Robert Dossou est l’invité Afrique de RFI de ce mardi 20 avril 2020. L’ancien ministre et ancien président de la cour constitutionnelle est revenu sur la pratique démocratie au Bénin depuis novembre 2019 pour montrer que l’élection présidentielle du 11 avril dernier n’est qu’un «match amical ». Avocat des candidats recalés à la dernière présidentielle que sont Reckya Madougou et Joël Aïvo, l’invité de la radio française fustige la confiscation de la démocratie béninoise avec des arrestations tous azimuts des voix discordantes. Lisez ci-dessous l’interview de l’ancien Bâtonnier Robert Dossou.
Quel est aujourd’hui votre sentiment au lendemain de l’élection présidentielle ?
Je dois vous dire que je suis préoccupé parce que c’est la première fois que nous faisons une élection présidentielle en République du Bénin précédée d’arrestations et suivie d’un flot d’arrestations. Depuis la fin du vote, on arrête tous les jours. Aujourd’hui j’apprends qu’on a arrêté celui-ci le lendemain, j’apprends et souvent des intellectuels qui ont pris l’habitude, en démocratie, de s’exprimer librement sur tous les sujets qui interpellent le citoyen. Et alors je m’interroge. Est-ce que cette élection donne occasion pour faire taire tous ceux qui expriment une opinion qui ne va pas dans le sens de l’opinion souhaitée par le gouvernement ? Et ça m’inquiète, ça m’interpelle et je m’interroge là-dessus. Parce que s’il n’y a pas de contradiction, il n’y aura plus de stabilité démocratique du tout.
C’est-à-dire…
C’est-à-dire, la démocratie n’est plus inclusive depuis 2019. Toutes les réformes ont tendu à cela. On ne peut pas dire autre chose. Tout est sous contrôle. Tout ! On ne voit pas un seul organe qui prenne des décisions contredisant le désir du pouvoir exécutif.
Le chef de l’Etat Patrice Talon est réélu avec 86 % des voix…
Je dois vous avouer que je ne veux pas aborder les chiffres. Pour moi, c’est une élection concoctée. Les partis qui sont présentés comme des opposants sont des partis agréés. Par conséquence, comme certains ont eu à le dire, c’est un match amical. La boucle a été bouclée par tout le train de lois qui a été voté jusqu’en novembre 2019. Et à partir de novembre 2019, on ne peut plus dire que la démocratie béninoise est une démocratie pleine et entière. Ça, on ne peut plus le dire. Mais, moi je suis soulagé que ça soit terminé, que, on ait plus à craindre, dans l’immédiat en tout cas, des troubles. Mais, les arrestations m’interpellent. Et je me demande si nous sommes libres de nous exprimer encore.
Mais le président Patrice Talon veut avancer, explique-t-on dans son entourage, il gère un pays développé…
Non, vous ne pouvez pas donner à manger à un homme, lui faire de belles routes, lui donner le bon confort et le priver de liberté. Et quand il s’exprime et que les propos qu’il tient ne vous conviennent pas sans qu’il ait outrage, sans qu’il ait insulte, ne vous conviennent pas, eh bien, vous lui flaquez n’importe quoi et on le retrouve en prison.
Ces opposants, ces candidats recalés notamment, ils sont tenus pour responsables des violences préélectorales ?
J’en attends les preuves.
En tant qu’avocat de Reckya Madougou et de Joël Aïvo, qu’est-ce que vous dénoncez ?
Aucun d’eux n’a jamais reçu une convocation de la police ni du procureur. C’est des personnalités à qui on peut adresser une convocation, elles vont se présenter. Cette méthode d’enlever des gans comme ça, je ne comprends pas. Ensuite, pour le cas précis de Joël Aïvo, ça a flotté. On ne savait pas ce qu’on lui reprochait. A la police, on lui a dit ci et puis arrivé chez le procureur, c’est un autre chef d’inculpation, ça évolue. Nous avons l’impression que la décision d’arrêter a été prise avance que, on trouve le motif. C’est inquiétant. Je suis un octogénaire et j’ai plus de 50 ans, bientôt 60 ans de pratique du droit. Et je vois aujourd’hui à la justice des choses que je ne voyais pas hier.
En 1990, vous aviez présidé le comité préparatoire de la Conférence nationale qui a fait la fierté du peuple Béninois. Où est passé l’esprit qui a animé cette conférence nationale ?
On recherche encore cet esprit mais nous ne savons pas quelle gestion nous en faisons aujourd’hui.
C’est la fin du modèle béninois ?
Non. Ce n’est jamais la fin. Et je n’ai jamais pensé que la démocratie soit quelque chose d’une autoroute que l’on prend a vitam aeternam. La démocratie peut avoir des reflux.
Que demandez-vous aujourd’hui au président Patrice Talon ?
Moi je pense qu’il faut qu’il mette un peu d’eau dans son vin et qu’il prenne langue avec toutes les parties prenantes. Et qu’on ne soit pas en crise permanente. Parce que le Bénin c’est le Bénin. Parce que nous avons une certaine tradition. Tout le monde souhaite qu’il y ait la paix, qu’il y ait la tranquillité, qu’il y ait le développement. Le développement n’est pas simplement au niveau des infrastructures. Les super structures aussi ont besoin d’être construites dans du droit et le droit doit être conforme aux préceptes fondamentaux des droits de l’Homme. Parce que toute société a pour finalité l’Homme.
Source : RFI
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