Ce jour du vendredi 03 septembre 2021…Il a suffi d’un coup de fil pour que la nuit tombe à 16h. J’ai vu comme un crépuscule soudain envahir la nature et noircir les eaux ondulantes du lac Toho. En un clin d’œil, je suis passé d’une extrême à une autre : de la joie la plus totale à la tristesse la plus pénible. Rien ne pouvait laisser présager d’une telle soirée cauchemardesque. Je savais mon patron souffrant mais j’étais à mille lieues d’imaginer qu’il était condamné.
Ce jour donc, après une matinée d’anniversaire passée à recevoir des messages d’amis et de parents qui, de façon spontanée ne manquent pas cette occasion, une fois l’an, de me témoigner leurs sympathies, je me suis fait convier à une surprise partie aux confins du Lac Toho en compagnie de certains confrères membres du bureau de l’une de nos associations de journalistes. La ripaille avait à peine commencé que je reçois le premier coup de fil d’un confrère. « VP, comment tu vas ? As-tu eu les nouvelles de ton patron ? », me demanda-t-il sèchement. Je fus surpris par cette question car c’est la première fois qu’il s’enquit des nouvelles de mon patron depuis près d’une décennie qu’on se connait.
Sans barguigner, je lui répondis : « ces derniers jours non mais je sais qu’il est souffrant. As-tu des informations à me donner ? ». La réaction fut hésitante. Il tergiverse quelques secondes puis finit par me dire : « Oui mais pas une bonne nouvelle, j’ai appris qu’il est décédé. Moi je voulais vérifier puisque je n’y ai pas cru ». Je fus totalement déconcerté. Les appels suivants ne me rassurèrent guère. Je me résolus à ce que la nouvelle était vraie. Mon cœur bat plus vite, je vis mes mains trembler et la fourchette était fortement secouée au point de tomber. « Le DP lui-même ?! », me suis-je exclamé. Mes confrères à travers ma réponse et ma réaction comprirent que mon patron avait cassé la pipe et tous se sont levés pour me soutenir.
Les deux heures de temps qui vont suivre furent éprouvantes pour moi. Mon téléphone sonnait sans cesse et je devrais répondre aux messages de condoléances et de soutien des uns et aux demandes de confirmation des autres. Après 102 appels, mon portable cessa enfin de sonner. Lui aussi s’est éteint après un laborieux et inoubliable jour de travail comme d’ailleurs le patron que je pleurais. Je rejoins Cotonou en pensant tout le temps à cette vie d’ici-bas où nous côtoyons la mort sans cesse. Cette vie où nous vivons comme des immortels et faisons des projets sans tenir compte de notre mandat terrestre si précaire et si révocable… « Un piège sans fin tendu par Allah », pour paraphraser Ahouna le héros du romain « Un piège sans fin ».
Vincent Foly et moi, c’était comme la tige et l’écorce. Une complicité à nulle autre pareille sur les options éditoriales de la rédaction. En dépit des divergences générationnelles, nos convictions et nos visions des choses sont si voisines et ont fini par converger vers un même point : faire de ce métier un vrai pouvoir où par la vérité on corrige la gouvernance publique. Il n’en était pas loin d’en faire une doctrine. Notre rencontre remonte à la fin des années 2000. A la quête d’un journaliste politique, un ami m’a proposé à lui. Après avoir lu mes premiers papiers, il me dit « je sais maintenant ce que mon journaliste vaut ». Puis, c’est parti pour une longue aventure professionnelle de plus de dix ans. Lui et moi avons formé un tandem qui a porté La Nouvelle Tribune au pinacle.
Il était d’un tempérament sanguin et moi à la limite du flegmatique. Quand ses excès de colère arrivaient à cause d’une légèreté dans le processus d’édition du journal, j’arrivais toujours à avoir la froideur nécessaire pour ramener le calme. Vincent Foly était de l’ancienne culture du journalisme qui gérait son journal comme un directeur gère son école. L’ordre, la discipline et les règles devraient y être respectés comme dans une caserne. Son audace et sa conviction à défendre toutes les injustices et toutes les causes faisaient de lui un journaliste singulier, réputé et surtout craint par les différents pouvoirs. Il m’a fait confiance dès le début et m’a confié toutes les responsabilités.
J’ai été successivement journaliste, chef desk politique, rédacteur en chef puis Assistant de Directeur de publication jusqu’au coup d’arrêt intervenu dans notre parution le 23 mai 2018. Il voyait en moi une plume osée et satirique et appréciait mon franc parler. Il disait souvent « à ton âge, j’étais comme toi ». Pendant la période de la traversée du désert, il était bien surpris de ne pas me voir travailler ailleurs. « Comment tu fais pour nourrir ta famille ? A la limite c’est une option suicidaire mais quand on a la conviction c’est toujours ainsi », me disait-il souvent. Ceci m’a valu mes premières interventions à la télévision lorsqu’il proposait souvent aux confrères en quête d’analystes de me faire confiance. C’était au-delà du patron, un maître, un guide, un réverbère qui éclaire ma vie professionnelle. Il était d’un franc-parler sûrement appris de son pays d’aventure la Côte d’Ivoire et n’hésitait pas à te dire ce qu’il pense de toi et de ton « papier ».
Je recevais souvent ses félicitations mais aussi ses critiques si le papier ne lui plaisait pas. Avec lui, nous avons traversé le désert, résisté à toutes les tentatives, fait tous les combats de notre époque. De « Touche pas à ma constitution » de Reckya Madougou au combat pour la liberté de presse- lorsque le Béninois Libéré fut interdit définitivement de parution-en passant par les dénonciations aux tentatives de révision sibylline de la constitution sous le président Boni Yayi et aussi sous Talon en passant par les affaires sulfureuses d’empoisonnement et de coup d’Etat…nous étions au front. Un front médiatique qui a, hélas, disparu aujourd’hui.
Avec la mort de Vincent Foly ce 03 septembre 2021, c’est la fin d’une époque.
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