(cet article réservé aux abonnés vous est offert par la rédaction) La décrispation de la vie politique béninoise n’est pas un vœu pieux. Bien au contraire. Elle est d’ailleurs au sommet des souhaits émis par la majeure partie du peuple et elle passe par la libération et le retour au pays de certaines personnalités considérées par l’opposition comme des prisonniers et exilés politiques. Mais, il semble que cette démarche est plus facile à dire qu’à faire. Vingt ans de prison ferme. C’est la plus lourde peine à laquelle un Béninois a été condamné depuis la création de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) en juillet 2018 pour poursuivre la lutte contre la corruption. L’ex-roi de la volaille Sébastien Ajavon a été le premier à être condamné à cette peine pour « trafic international de cocaïne » le 18 octobre de la même année.
Comme un couperet, plusieurs autres personnalités béninoises subiront le même sort. Notamment les anciens ministres de l’ancien régime Reckyath Madougou, Komi Koutché. D’autres personnes seront condamnées à des peine moins lourdes allant de quinze à cinq ans dans la même période de la création de la Criet à ce jour. Il s’agit du professeur de droit constitutionnel Joël Aïvo, l’ancien maire de Cotonou Lehady Soglo condamnés à dix ans. L’opposition béninoise considère ces hommes et femmes comme des prisonniers politiques. Ce que réfute catégoriquement le gouvernement béninois qui les accusent plutôt d’avoir commis des crimes avérés de droit commun et d’atteinte à la sûreté de l’Etat Même si les deux camps ne s’accordent pas sur la terminologie, toujours est-il qu’il s’agit du sujet qui polarise l’attention au Bénin. C’est le cœur des conversations et le nœud gordien de la classe politique.
Plusieurs personnes éprises de paix militent en faveur du retour au bercail des uns et la libération des autres afin de décrisper la tension politique béninoise. C’est dans ce sens que plusieurs démarches ont été entreprises en direction du président Patrice Talon par les anciens présidents de la République Nicéphore Soglo et Boni Yayi. Visiblement, celui-ci n’est pas insensible à toutes ces sollicitations. Ce n’est pas l’envie qui lui manque encore moins la volonté politique. A voir de près, le dégel de la situation ne peut pas se résoudre en un claquement de doigts. La situation est si compliquée du fait même de son caractère politico-judiciaire. Il faut la résoudre avec tact. Outre les condamnations à de lourdes peines, il y a aussi la saisie et la vente aux enchères des biens de certains condamnés. Le cas de Ajavon est encore frais dans les mémoires.
Les préjudices financiers sont trop grands. Or, qui dit réconciliation et amnistie, dit nécessairement réparation. En 1990, après la conférence des forces vives de la nation, les exilés politiques notamment, Gratien Pognon, Bertin Borna Babiliba, Adrien Houngbédji et consorts ont bénéficié d’importantes sommes d’argent en guise de dédommagement. Idem en 1996 avec le dossier des colonels Pascal Tawès, Raymond Sagui et consorts, amnistiés pour tentative de coup d’État. Ils ont été réhabilités, réincorporés au sein de l’armée béninoise et dédommagés. Indubitablement, il faut s’attendre à ce que les exilés et autres prisonniers de ce qu’on peut appeler la troisième vague bénéficient des mêmes faveur du gouvernement à leur retour au pays. Ce qui coûtera des milliards de francs CFA aux contribuables. A l’heure actuelle, compte tenu des préjudices subis, la libération et le retour au bercail ne sont plus suffisants à calmer les esprits. Il faut mettre la main à la poche. Et ce sujet peut faire gamberger ferme.
Risque de clash
L’autre sujet à caution est relatif à l’attitude de ses amnistiés une fois leur retour au bercail effectué. Si de nombreuses démarches ont été faites à l’endroit du chef de l’État pour infléchir sa position, ce n’est pas le cas du côté des personnes concernées. Or, toute décrispation passe par des concessions de part et d’autre. Certes, la décision de reprendre le combat politique là où ils l’avaient laissé leur revient. Il s’agit de leur droit inaliénable, individuel et personnel de faire ou non la politique. Mais les risques de clashs et d’empoignades sur le terrain avec les autres acteurs politiques proches du pouvoir, alors même que le président Talon vient à peine d’entamer son second mandat peut amener celui-ci à hésiter. Cependant, quelques soient les appréhensions du chef de l’État, il va falloir se décider d’un jour à l’autre. Plus le temps passe, les chances d’une décrispation apaisée vont s’amoindrir.
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