Alors qu’on assiste à l’effondrement de plusieurs métiers, la politique suscite elle un grand engouement auprès des Béninois. Telle une épidémie, presque personne ne résiste à la tentation de la chose politique. Hommes d’affaires, professionnels de tous les secteurs, journalistes et communicants, universitaires, artistes et même des religieux…tous y vont pour se servir au lieu de servir.
Depuis 1990, jamais un « métier » n’aura suscité plus d’engouement que celui d’homme politique. S’il n’existe pas de statistiques pour montrer cette ruée vers la politique, il ne fait aucun doute que plusieurs professionnels ont fait ces dernières années la mutation pour se retrouver dans le monde politique. Le phénomène a commencé dans la deuxième moitié des années 90 avec l’entrée en masse des hommes d’affaires en politique. En effet, le retour du président Mathieu Kérékou au pouvoir en 1996 a bénéficié d’un fort soutien d’hommes d’affaires. Au lieu de se contenter de leur rôle de second plan, de financer les hommes politiques, beaucoup parmi eux ont franchi le pas en osant entrer en politique comme acteurs.
C’est ainsi qu’ils ont créé des partis politiques et les plus audacieux se sont lancés dans la quête des suffrages électoraux. Les élections législatives de 1999 ont permis l’arrivée des hommes d’affaires au parlement. Ils ont surfé sur un terrain fertile : l’achat des suffrages introduit quatre ans plus tôt dans la culture politique lors des législatives de 1995. Plus l’argent devenait le seul et vrai déterminant pour la réussite politique, plus les hommes d’affaires ont commencé à prendre leurs places au détriment de ceux qui n’avaient que des idées et des projets de gouvernance. Ainsi ouvert, la filière politique a commencé à intéresser des rois, des dignitaires de cultes, des leaders d’opinion, des acteurs de la société civile. Cette situation a perduré jusqu’à nos jours avec pour corollaire, l’appauvrissement de la classe politique et du débat politique.
2016 : un autre tournant
Depuis 2016, la ruée vers la politique a connu une grande ampleur. En dehors des hommes d’affaires, on a vu des journalistes, des communicants, des universitaires, des religieux, et des professionnels d’autres secteurs faire leurs entrées en politique. Même des jeunes ayant fini l’université et sans jamais avoir travaillé se sont lancés en politique et beaucoup parmi eux sont dans des structures de jeunes des partis ou sont utilisés comme personnel d’appui ou de soutien des hommes politiques. La dernière entrée spectaculaire en politique est celle de Théodore Gougounon, artiste chanteur compositeur connu sous le nom de GG Lapino. Avec deux autres camarades, ils ont rejoint le parti Union Progressiste Le Renouveau. Mais il n’est pas le premier dans le domaine de la musique à faire son entrée en politique. Cette expérience a été faite par le chanteur Apolinaire Houénou connu sous le nom d’Alêvi. Ce chanteur de Toba a été élu chef de l’arrondissement de Tohou dans la commune de Lalo pendant la mandature 2015-2020.
Son autre collègue Michel Loukou connu sous le nom d’Alêkpéhanhou est l’actuel chef de l’arrondissement de Sèhoun dans la commune d’Abomey. Les artistes ne sont pas les seuls à être attirés par les sirènes de la politique. Dans le rang des journalistes, plusieurs vocations ont vu le jour. L’un est conseiller municipal à Houéyogbé, un autre à Porto Novo et un dernier, plus chanceux est chef d’arrondissement dans la commune de Sô Ava. Bien avant eux, un autre a réussi à se faire élire maire dans la commune d’Adjohoun. Plusieurs autres sont actuellement actifs dans les partis de la mouvance comme de l’opposition. Les religieux sont aussi appâtés par la chose politique. Sous le président Boni Yayi, on a noté l’emprise des pasteurs et prédicateurs évangélistes sur le jeu politique mais avec l’avènement du Président Talon au pouvoir, on a eu l’élection d’un imam comme député à l’Assemblée nationale. Des professionnels d’autres secteurs comme des ingénieurs, des chefs d’entreprise ayant même pion sur rue dans leurs domaines ont succombé à la politique. Elle ne laisse plus personne indifférente au Bénin. Même celui qui passait pour l’un des meilleurs du secteur de la boulangerie pâtisserie du pays.
L’eldorado
A dire vrai, la grande majorité de ceux qui entrent en politique ces dernières années y vont pour se réaliser. C’est ce qu’explique un jeune sorti à peine de l’université avec un master en Science juridique en poche. « Au Bénin aujourd’hui, pour être un peu à l’aise il faut faire la politique. C’est pourquoi moi je me suis très vite engagé. Ceux qui sont là quitterons un jour et nous aussi, nous allons avoir notre chance », dit-il pour justifier son engagement en politique. Il fait allusion aux nombreux avantages qu’offrent les postes de responsabilité en politique. Salaires mirobolants, à la limite inimaginable, garde de corps, véhicules de service…sont autant de choses qui attirent la population. Cette tendance à voir la politique comme une opportunité de réussite sociale a pris d’ampleur depuis l’arrivée du président Talon au pouvoir. Et pour cause, le chef de l’Etat a bonifié considérablement les salaires, les indemnités et les primes accordés à ceux qui occupent les fonctions politiques.
De Boni Yayi à Patrice Talon, les salaires des maires, des préfets, des députés et des ministres ont été multipliés par trois, parfois par dix pour les plus chanceux. Les salaires, indemnités et primes accordés aux hommes politiques sont les meilleurs du passé et font dix fois des salaires des cadres de l’administration publique. Face au désespoir, à l’incertitude et à la précarité qui pointent le nez dans plusieurs secteurs professionnels, la politique devient une aubaine pour échapper à la misère et au dénouement. Sans aucun talent, aucune conviction et sans un projet de société, beaucoup entre en politique la tête vide et courent derrière les nominations pour mieux vivre. A cette allure, la politique captera tout et il n’aura presque plus d’exemples de réussite dans d’autres secteurs de l’économie. Il n’aura plus de professionnels ayant réussi dans leurs domaines respectifs et qui peuvent contribuer au développement du Bénin à travers les idées et des propositions concrètes. Et c’en sera fini pour le génie et la créativité du peuple béninois.
© Marcel Zoumènou
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