En 2016, lorsqu’il prenait le pouvoir, l’homme d’affaires devenu Président de la République, Patrice Talon promettait une « rupture » avec les anciennes pratiques. Pour atteindre son objectif, le tout nouveau patron du palais de la Marina s’était entouré de fidèles soutiens et de certains ex-partenaires de son prédécesseur, le Dr Thomas Boni Yayi. Après 8 ans de gouvernance, plusieurs soutiens clés ont été débarqués du dispositif d’Etat. Cela amène certains analystes à se demander ce qui se cache derrière cette « purge » dans un contexte où le Président Talon a certifié qu’il sera actif dans la course pour sa succession.
Depuis le renouveau démocratique, il est l’un des présidents ou sinon le seul à avoir afficher une certaine stabilité dans l’appareil d’État. En effet, depuis son accession à la Présidence de la République, il a presque tout le temps conservé son équipe gouvernementale à part les sorties intervenues à la suite des rares remaniements ministériels qu’il a opérés. Se prononçant sur le sujet, Patrice Talon avait affirmé au cours d’une conférence de presse conjointe avec l’ancien président nigérien Mahomed Bazoum à Cotonou « on ne change pas l’équipe qui gagne ». Reconnaissant que « l’œuvre humaine ne peut être parfaite nulle part » avait assuré qu’il n’attendait pas de ses collaborateurs « qu’ils soient des dieux sur terre ». Patrice Talon répondait ainsi aux rumeurs d’un remaniement ministériel supposé intervenir à la suite des élections législatives qui ont consacré le retour au parlement de l’opposition après quatre années d’absence.
Talon fait des retouches sur l’« équipe qui gagne »
Mais quelques semaines plus tard, c’est un des fidèles soutiens du numéro un béninois qui est démis de ses fonctions. L’annonce qui est partie des réseaux sociaux a finalement été confirmée par un remaniement ministériel intervenu quelques jours plus tard avec la sortie de trois ministres. Il s’agit du ministre de la justice et de la législation, Séverin Quenum, l’un des fidèles soutiens de la « Rupture » celui de l’énergie et des mines, Jean-Claude Houssou et celui des transports Hervé Hehomey. Cela avait suscité dans l’opinion des interrogations sur les raisons qui ont poussé le président Talon à retoucher l’équipe « qui gagne » lui qui avait quelques semaines plus tôt envoyé un message clair à certains de ses soutiens qui attendaient des nominations. « Nous faisons notre petit chemin et jusqu’à nouvel ordre, je n’ai pas envisagé de remercier qui que ce soit d’entre eux. Je n’ai pas non plus envisagé de faire venir d’autres. C’est dommage pour ceux qui attendent. Mais c’est ainsi » avait lâché Patrice Talon. Une équipe légèrement retouchée a donc repris le flambeau pour poursuivre l’action gouvernementale.
On en était là quand un autre gros soutien du Président Patrice Talon a annoncé son départ du gouvernement le 06 Octobre 2023. La nouvelle a eu l’effet d’une bombe dans la sphère politique au Bénin. Cela parce que cette personnalité a été l’une des premières a déclaré ouvertement son soutien à l’homme d’affaires au moment où il était en exil. Il faisait partie de ceux qui se sont battus pour que Mr Talon soit candidat à la présidentielle en 2016 et avaient mobilisé de nombreux jeunes autour de sa cause. Pour comprendre la source de ce départ, il faut remonter à quelques semaines plutôt. Oswald Homeky, puisque c’est de lui qu’il s’agit avait donné son avis sur celui qui pouvait assurer une meilleure succession pour la mouvance présidentielle. « Olivier Boko est le mieux préparé de nous tous. S’il se présente, toutes les autres ambitions devront s’éclipser. En toute sincérité, il est celui dont la candidature rassemblera aisément toutes les tendances au sein de la mouvance et même en dehors », avait estimé le ministre Homeky en Août 2023. Cet avis n’a pas été du goût de l’actuel patron de la Marina qui aurait répondu à cette sortie de son ministre des semaines plus tard au cours d’une rencontre gouvernementale selon des sources. C’est en fin d’année, que le Président Talon s’est prononcé sur le sujet pour la première fois.
Au cours d’un entretien exclusif diffusé le samedi 23 décembre 2023 sur la Télévision nationale, le président Patrice Talon s’est prononcé pour la première fois sur la démission de l’ex-ministre des sports Oswald Homeky. Sur un ton ferme, Talon a dit clairement que cette intervention allait à l’encontre de la réforme du système partisan et a signifié qu’il n’était pas compréhensible qu’un acteur de ce rang fasse la promotion de son candidat oubliant l’esprit de la réforme. « Comment on peut voir quelqu’un qui a été au cœur de la réforme, notamment le ministre auquel vous faites allusion, ignorer son parti politique, cette réforme, ignorer cette bonne disposition qui, aujourd’hui, gouverne notre pays en matière politique, et commencer à faire la promotion de son candidat à lui, celui qu’il estime peut-être le meilleur pour lui en 2026 au mépris de tout ce que nous sommes en train de bâtir ensemble ? », s’était interrogé le numéro 1 béninois qui a précisé qu’il a rappelé à l’ordre son ancien collaborateur. « Et c’est bien pour ça que je l’ai rappelé à l’ordre. Mais ça n’est pas légitime qu’il faut préserver nos petits acquis qui sont en train de se renforcer ? », s’était défendu M Talon qui a estimé que le moment était mal choisi pour susciter des candidatures. « Les partis n’ont pas encore ouvert la compétition. Laissons-leur le temps d’ouvrir la compétition et ceux qui sont candidats vont faire la course au sein de leurs organes politiques », avait poursuivi Patrice Talon.
Purge ou stratégie ?
Après cette série de départ dans le dispositif d’État, on croyait que le dispositif avait trouvé sa stabilité. Mais contre tout attente, cette semaine, c’est un autre poids lourd du système qui est débarqué. Lui c’est Johannès Dagnon, un homme très discret du système Talon mais qui a une très grande influence depuis son avènement à la Marina. Il était jusqu’à son débarquement le Conseiller Spécial du Président de la République et dirigeait le Bureau d’Analyse et d’Investigation. Pour beaucoup de béninois c’est une grosse surprise vu le rôle clé de M Dagnon. Jusqu’à présent aucune source officielle ne s’est prononcé sur le sujet mais selon certaines sources, les deux personnalités se seraient rencontrées la veille de l’annonce du limogeage. Selon ces mêmes sources, la rencontre aurait mal tourné et le Président Talon aurait par la suite décider de se séparer de son fidèle conseiller. Mais comment cela a-t-il bien pu arriver ?, s’interroge de nombreux béninois qui voit peut-être la main du virus de la fin de mandat frapper à la porte du régime.
On se rappelle il y a quelques semaines, que trois personnalités avaient dénoncé l’utilisation « trompeuse » de leur présence à une activité au cours de laquelle le nom du conseiller spécial Johannes Dagnon avait été évoqué. Benjamin Dako, Urbain Amègbedji, et Arnaud Zannou puisque c’est d’eux qu’il s’agit avaient exprimé leur consternation face à l’appropriation de leur participation à une conférence au cours de laquelle le nom de Johannès Dagnon, Conseiller Spécial du Président Talon, avait été évoqué en lien avec la présidentielle de 2026. Serait-ce cet événement qui aurait conduit au limogeage de M Dagnon, l’un des pilliers du système Talon ? Difficle de répondre par l’affirmative. Cette purge si s’en est vraiment une, selon certains béninois, révèle au grand jour les désaccords au cœur du dispositif Talon.
Pour certains analystes avertis, ce coup de tonnerre cache certainement une ruse ou une stratégie du chantre de la Rupture. S’il est vrai qu’à mesure que l’on s’approche de la fin du second et dernier mandat constitutionnel du Président Talon, des ambitions présidentielles commencent à s’affirmer de plus en plus, il n’est pas moins vrai que la coordination de l’action gouvernementale au sein de la majorité présidentielle préoccupe le Président Talon. Le sujet a d’ailleurs été abordé au cours d’une audience avec les représentants des partis RN et Moele Bénin, deux partis qui soutiennent les actions du gouvernement et qui ne sont pas présents à l’assemblée nationale. Avant ces rencontres, Patrice Talon avait rencontré sa majorité dans la foulée de l’étude du projet de révision de la constitution puis de la révision du code électoral. Le numéro un béninois semble vouloir imprimer une dynamique et dérouler un plan pour qu’après les élections générales de 2026 son clan conserve le pouvoir. En tout cas, 2026 représente un carrefour important pour le Bénin et le pays fera sa première expérience des élections générales avec le nouveau code électoral voté il y a quelques semaines. A mesure qu’on s’avance vers cette échéance, la sphère politique béninoise va certainement connaître une grosse mutation. Les prochains mois nous permettront d’avoir une lecture plus claire des changements avec les ambitions qui vont se multiplier.
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