La Russie se trouve aujourd’hui au cœur du marché mondial du nucléaire civil, grâce à l’influence prédominante de son entreprise publique Rosatom. Cette situation soulève des questions quant aux motivations géopolitiques derrière cette domination, en particulier dans un contexte mondial marqué par des sanctions économiques.
Avant l’offensive de l’Ukraine en 2022, la Russie jouissait déjà d’une position enviable dans le secteur nucléaire civil, avec une implication dans près de la moitié des projets nucléaires mondiaux. En comparaison, des acteurs tels que la Chine, la France, le Japon, la Corée du Sud et les États-Unis ne représentaient ensemble que 40% du marché. Deux ans après le début du conflit, Rosatom maintient une forte présence, participant à plus d’un tiers des projets nucléaires internationaux, y compris dans des pays comme la Chine, l’Inde, l’Iran et l’Égypte.
Le succès de Rosatom s’étend également à de nombreux autres pays. L’entreprise a signé une vingtaine de protocoles d’entente avec des nations telles que le Zimbabwe, le Mali, le Burkina Faso et le Brésil. Notamment, un accord pour le développement d’un mini-réacteur nucléaire a été conclu avec l’Ouzbékistan. Cette expansion est d’autant plus impressionnante que le secteur nucléaire russe a été épargné par les sanctions internationales qui ont frappé d’autres industries russes, notamment celles du pétrole et du gaz.
Les efforts pour évincer la Russie du marché nucléaire, comme l’alliance « Sapporo 5 » formée par les États-Unis, la France, le Japon, le Canada et le Royaume-Uni, n’ont pas encore réussi à réduire significativement l’influence de Rosatom. Une des raisons est la dépendance persistante à l’uranium russe, qui représente 27,7% du marché mondial. En dépit des sanctions et des tentatives d’isolation, Rosatom a vu ses revenus à l’étranger doubler au cours des dix dernières années, atteignant 16,2 milliards de dollars en 2023, avec des prévisions de revenus totaux pouvant atteindre 56 milliards de dollars d’ici 2030.
Malgré ces chiffres impressionnants, Rosatom génère un bénéfice net relativement faible, de l’ordre de 2 à 3 millions de dollars par an. Cependant, l’objectif de Moscou va au-delà des profits financiers immédiats. En réalité, Rosatom sert de levier géopolitique majeur pour le Kremlin, renforçant les liens de dépendance avec les pays partenaires. La construction d’une centrale nucléaire implique un engagement à long terme avec Rosatom pour la maintenance, la gestion des déchets et le démantèlement, des processus qui peuvent s’étendre sur plusieurs décennies.
Cette dépendance est visible dans des pays comme la Bolivie, où après avoir construit un centre de recherche nucléaire en 2023, la Russie a pu accéder à des ressources stratégiques comme le lithium. En Europe, la Hongrie illustre bien cette dynamique, avec Rosatom en charge de la construction de la centrale de Paks, qui fournira 2.400 mégawatts au mix énergétique hongrois.
Ainsi, Rosatom ne se contente pas de dominer le marché mondial du nucléaire civil ; elle joue également un rôle crucial dans la stratégie géopolitique de la Russie. En se positionnant comme un partenaire incontournable du Sud global, Rosatom offre une alternative aux technologies occidentales tout en renforçant les intérêts stratégiques de Moscou.
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