Deux grands projets de gazoducs ambitionnent de relier l’Afrique à l’Europe en passant par le Maghreb, chacun porté par un acteur différent : le Maroc et l’Algérie. Le premier, soutenu par Rabat, est le gazoduc Nigeria-Maroc, qui prévoit de longer la côte ouest-africaine pour atteindre l’Europe via le territoire marocain. Le second, défendu par Alger, est une relance du projet transsaharien, reliant le Nigeria à l’Algérie à travers le Niger, avant d’acheminer le gaz vers le réseau européen via la Méditerranée. Alors que ces deux initiatives visent à diversifier les sources d’approvisionnement énergétique de l’Europe, les États-Unis semblent afficher une préférence qui pourrait influencer les dynamiques autour de ces projets.
Une dynamique marocaine qui séduit Washington
En avril 2025, le ministère marocain de la Transition énergétique et du Développement durable a officiellement lancé un appel à manifestation d’intérêt pour développer un vaste hub gazier autour du port de Nador West Med. Ce projet ne se limite pas à une plateforme d’importation : il prépare à une intégration régionale d’ampleur avec la Mauritanie et le Sénégal grâce au gazoduc Afrique-Atlantique. Plus visionnaire encore, il prévoit un couplage avec les futurs projets d’hydrogène vert, positionnant le Maroc à l’avant-garde des nouvelles filières énergétiques.
Cette dynamique n’est pas passée inaperçue aux yeux des Américains. Dès mars dernier, Amina Benkhadra, directrice générale de l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM), avait mis en lumière à Washington les avancées concrètes du GAA, devant un parterre de décideurs réunis par l’Atlantic Council. Prévue pour une première mise en service en 2029, l’infrastructure se présente comme une autoroute énergétique reliant le Nigeria aux côtes européennes via le Maroc, une perspective jugée stratégique dans un contexte de diversification des approvisionnements en gaz.
Un rival algérien distancé malgré ses atouts
Face à cette montée en puissance du GAA, l’Algérie, historiquement acteur dominant dans l’exportation gazière vers l’Europe, voit son projet transsaharien (le Trans-Saharan Gas Pipeline, TSGP) relégué au second plan. Bien que techniquement solide et bénéficiant de l’expérience gazière algérienne, ce projet semble souffrir d’une visibilité internationale moindre et d’une complexité sécuritaire accrue sur son parcours. Comme un joueur d’échecs mis en échec par des coups successifs, Alger observe l’échiquier évoluer sans pouvoir, pour l’instant, renverser la tendance.
Le récent appui des États-Unis au GAA a été confirmé par le ministre nigérian des Finances, Wale Edun, à l’issue des discussions bilatérales tenues lors des réunions du FMI et de la Banque mondiale. Ce soutien américain, intervenant alors que le Nigeria possède l’une des plus grandes réserves de gaz au monde, renforce encore davantage le projet initié par le Maroc, et marginalise indirectement l’option algérienne. Le Nigeria, clé de voûte du réseau énergétique africain, devient ainsi un pivot dans cette nouvelle architecture.
Implications stratégiques pour l’Afrique et l’Europe
Le choix américain pour le GAA n’est pas seulement une question d’infrastructure. Il s’agit aussi de renforcer des axes de coopération énergétique plus sûrs et politiquement stables entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe, tout en diversifiant les sources d’approvisionnement en gaz pour faire face aux défis énergétiques mondiaux.
Par cet appui, les États-Unis renforcent aussi leur influence économique sur des projets liés à l’hydrogène vert, une ressource appelée à jouer un rôle essentiel dans la transition énergétique globale. Le Maroc, en développant simultanément son réseau gazier et ses ambitions hydrogène, s’impose progressivement comme un pont énergétique entre l’Afrique et l’Europe. À la manière d’un port qui devient la plaque tournante du commerce maritime, Nador West Med aspire à devenir la future plaque tournante du commerce énergétique continental.
Cette dynamique pourrait rebattre durablement les cartes dans la région : le Maroc renforce son rôle stratégique, le Nigeria s’assure une voie royale vers les marchés européens, et les États-Unis sécurisent leur présence économique dans un secteur en mutation rapide. Pendant ce temps, l’Algérie devra repenser ses stratégies si elle veut retrouver son influence d’antan sur le marché gazier africain.
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