En trois décennies, la Chine est passée du statut d’usine à bas coût à celui de puissance incontournable dans l’économie globale. En intégrant l’Organisation mondiale du commerce en 2001, elle a multiplié ses échanges commerciaux, attiré les investissements étrangers et structuré des chaînes d’approvisionnement devenues indispensables pour de nombreuses économies occidentales. Le pays s’est également imposé comme un investisseur de premier plan à l’étranger, via l’initiative des Nouvelles Routes de la soie, et comme fournisseur stratégique dans des secteurs aussi divers que les terres rares, l’électronique ou les technologies vertes. L’Union européenne, et en particulier l’Allemagne, a longtemps profité de cette dynamique, notamment grâce aux exportations industrielles vers le marché chinois. Cette interdépendance, aujourd’hui perçue comme un risque géopolitique, fait désormais l’objet de révisions dans plusieurs capitales européennes.
Une mise en garde qui cible Berlin
La Chine a exprimé son mécontentement face aux récentes orientations stratégiques de l’Allemagne, qui cherche à réduire sa vulnérabilité économique vis-à-vis de Pékin. Lors d’un échange téléphonique avec le ministre allemand des Affaires étrangères, Johann Wadephul, le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, a appelé Berlin à ne pas saboter les échanges économiques sous prétexte de prudence stratégique. Il a qualifié d’« injustifiées » les tentatives de restriction commerciale, estimant qu’elles nuisent à une coopération pourtant bénéfique aux deux pays.
La déclaration de Wang Yi intervient alors que le nouveau gouvernement allemand multiplie les signaux en faveur d’un rééquilibrage des partenariats commerciaux, en particulier dans des secteurs sensibles comme les semi-conducteurs, l’automobile électrique ou les télécommunications. L’idée d’un découplage partiel ou d’une « dé-risking » ciblée prend de l’ampleur à Berlin, dans un contexte d’inquiétude face à l’expansionnisme politique et industriel de la Chine. Pékin y voit une remise en question de la confiance mutuelle et tente, par des avertissements diplomatiques, de contenir ce virage stratégique.
L’Allemagne, entre dépendance industrielle et autonomie stratégique
L’Allemagne se retrouve aujourd’hui à un carrefour. D’un côté, son modèle industriel repose largement sur des débouchés comme la Chine, notamment pour ses géants de l’automobile, de l’ingénierie et de la chimie. De l’autre, les tensions sino-occidentales et les perturbations géopolitiques récentes ont souligné la fragilité de certaines dépendances. À la différence des États-Unis, Berlin adopte une approche plus graduelle, mais de plus en plus affirmée, pour diversifier ses chaînes d’approvisionnement et limiter les investissements étrangers dans des infrastructures jugées critiques.
La Chine, consciente de son poids économique mais aussi de sa vulnérabilité face aux politiques de restriction occidentales, joue sur le registre de la pression diplomatique. En ciblant spécifiquement l’Allemagne, elle envoie également un message aux autres pays européens tentés par une réorientation économique : toute tentative de distanciation sera perçue comme une provocation, voire comme une rupture des engagements bilatéraux.
Une ligne de fracture qui se précise
Ce bras de fer sino-allemand reflète une évolution plus large des relations entre l’Europe et la Chine, marquées par la méfiance croissante mais aussi par la nécessité de maintenir des liens commerciaux solides. Si Berlin poursuit son projet de réévaluation stratégique, d’autres pays membres de l’UE pourraient être confrontés à des mises en garde similaires. La Chine, qui tente de contenir un ralentissement économique interne et de préserver ses marchés extérieurs, semble déterminée à s’opposer fermement à toute logique de désengagement.
La diplomatie chinoise mise sur un mélange de fermeté et d’appel au pragmatisme économique. Pour l’Allemagne, le défi consiste à tracer une voie entre indépendance stratégique et maintien de ses intérêts industriels. Une équation complexe dans un monde où la souveraineté économique devient une composante centrale des relations internationales.
