La collaboration entre l’État et les entreprises privées a longtemps constitué une stratégie clé pour moderniser les secteurs stratégiques dans de nombreux pays du Maghreb. Dans des domaines tels que l’énergie, la santé ou l’industrie lourde, ces partenariats ont permis de bénéficier de l’expertise étrangère tout en stimulant la croissance nationale. Pourtant, lorsque les attentes divergent ou que la confiance se fissure, ces alliances peuvent rapidement se transformer en source de friction. L’affaire opposant l’Algérie au groupe allemand Linde en offre un exemple révélateur.
Un divorce en cours de négociation
La relation entre Alger et Linde, longtemps présentée comme un partenariat industriel solide, s’est dégradée progressivement au fil des années. L’entreprise allemande, pourtant bien implantée à travers la région, s’est heurtée à une série de blocages dans ses activités en Algérie. Plusieurs projets annoncés n’ont jamais abouti, suscitant des frustrations croissantes au sein des autorités. Face à ce constat d’inaction, les pouvoirs publics ont décidé de suspendre les transferts de dividendes destinés à la maison mère. Ce gel a marqué le début d’un processus de rupture aujourd’hui bien engagé. Deux options sont actuellement à l’étude : un rachat des parts de Linde par des entités publiques algériennes ou une sortie encadrée par une indemnisation proposée par le groupe.
Ce désengagement survient alors même que Linde continue ses opérations dans d’autres pays du Maghreb. Cette différence de trajectoire met en lumière une stratégie nationale plus affirmée du côté algérien, qui semble vouloir réduire la dépendance à certains partenaires étrangers dans des secteurs jugés critiques.
Des failles exposées par la crise sanitaire
La pandémie de 2020 a agi comme un révélateur brutal des limites du modèle en place. Alors que la demande d’oxygène médical atteignait des niveaux inédits, les capacités de réponse de Linde Gas Algérie, pourtant en position dominante, se sont révélées insuffisantes. Ce dysfonctionnement, largement médiatisé, a jeté un doute sur la fiabilité d’un acteur considéré jusqu’alors comme incontournable. Pour les autorités, cet épisode a renforcé l’idée qu’un socle industriel local devait prendre le relais, notamment dans les secteurs liés à la santé publique.
Dans ce contexte, plusieurs entreprises algériennes ont connu une montée en puissance rapide. RayanOx et Sidal Gas, jusque-là peu connues du grand public, ont étendu leurs capacités de production. De son côté, Hélios, branche spécialisée de Sonatrach, a diversifié ses activités pour couvrir une partie du marché national en gaz industriels. Ce redéploiement s’inscrit dans une volonté plus large de sécuriser les approvisionnements en interne, sans recours systématique à l’expertise étrangère.
Recomposition industrielle et prudence des investisseurs
L’objectif affiché par l’Algérie est de construire une filière capable de fonctionner de manière autonome, même en période d’instabilité. Mais cette transition ne se fait pas sans conséquences. Le retrait d’un groupe de l’envergure de Linde peut être interprété par certains investisseurs comme un signal d’incertitude. À un moment où le pays cherche à renforcer son attractivité économique, cette perception pourrait peser sur l’image de stabilité que souhaite projeter Alger.
Pour autant, cette reconfiguration industrielle traduit une orientation claire : reprendre le contrôle de segments stratégiques et favoriser les capacités locales. Ce virage, bien qu’ambitieux, devra prouver son efficacité sur le long terme. La question centrale reste celle de la compétitivité : les nouveaux acteurs algériens seront-ils en mesure de répondre aux standards de qualité, de volume et de rapidité exigés dans le secteur ? Le pari est lancé.
Laisser un commentaire