Le fléau du terrorisme continue de s’étendre et de se complexifier sur le continent africain, transformant des régions entières en zones de conflit et de détresse humanitaire. Si l’attention médiatique se focalise souvent sur les actions spectaculaires des groupes djihadistes comme Boko Haram, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) ou l’État Islamique dans le Grand Sahara (EIGS), une réalité plus insidieuse et tragique se dessine : celle des communautés peulh, prises en étau, souvent ciblées et paradoxalement désignées comme les premières victimes de cette escalade de violence.
Depuis une décennie, la bande sahélo-saharienne est devenue l’épicentre de l’expansion terroriste en Afrique. Des groupes armés non étatiques, exploitant les failles de gouvernance, la pauvreté, les conflits fonciers et les frustrations locales, ont semé la terreur de la Mauritanie au Tchad. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont particulièrement touchés. Ces groupes, qu’ils soient d’obédience djihadiste ou des bandes criminelles opportunistes, exploitent les tensions préexistantes, notamment celles entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades. C’est dans ce contexte que la communauté peulh, historiquement nomade ou semi-nomade et souvent transfrontalière, se retrouve prise dans un engrenage infernal.
Les Peulhs, entre instrumentalisation et victimisation
Les Peulhs, ou Foulbés, sont un vaste groupe ethnolinguistique réparti dans une vingtaine de pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Leur mode de vie pastoral les amène à se déplacer, les rendant vulnérables aux pressions foncières et aux rivalités avec les communautés agricoles. Cette mobilité et cette spécificité culturelle ont malheureusement été instrumentalisées par les groupes terroristes. Plusieurs dynamiques sont à l’œuvre à savoir le recrutement forcé ou par la contrainte, l’Instrumentalisation des conflits agriculteurs-éleveurs, les amalgames et les stigmatisations: Dans les zones où l’État est absent et où les communautés peulhs sont confrontées à l’insécurité (vols de bétail, violences), les groupes djihadistes se présentent parfois comme les seuls garants de « justice » et de « protection ». Ils offrent une forme d’ordre, même si elle est brutale, et exploitent les griefs des jeunes marginalisés.
Certains Peulhs se sont ainsi retrouvés enrôlés de force ou par nécessité, faute d’alternative. Les terroristes exacerbent délibérément les tensions locales, se posant en « défenseurs » d’une communauté contre une autre. En armant ou en soutenant certaines factions, ils créent un chaos qui leur est favorable, tout en divisant les communautés. En raison de la présence (souvent contrainte) de certains individus peulhs au sein des groupes armés, l’ensemble de la communauté est trop souvent stigmatisé et assimilé aux terroristes. Cet amalgame dangereux a des conséquences dévastatrices. Les Peulhs sont alors ciblés par les forces de défense et de sécurité qui mènent des opérations anti-terroristes, parfois sans discernement, ou par d’autres communautés qui voient en eux des « collaborateurs ».
Des rapports d’organisations humanitaires et de Droiits de l’Homme documentent des arrestations arbitraires et des disparitions forcées de civils peulhs par des forces étatiques ou des milices d’autodéfense. Pris entre le marteau des terroristes et l’enclume des forces de sécurité, les Peulhs subissent des pertes humaines et matérielles considérables. En fin de compte, la plupart des Peulhs sont des victimes. Ils sont déplacés, leurs troupeaux sont décimés, leurs moyens de subsistance sont détruits, et leur mode de vie millénaire est menacé. La stigmatisation les rend également vulnérables à la discrimination et à la marginalisation.
Le Bénin face à la menace, une situation évolutive
Le Bénin, autrefois un havre de paix relatif dans la sous-région, est désormais directement menacé par l’avancée des groupes terroristes depuis le Burkina Faso et le Niger. Des attaques ont déjà été enregistrées dans le nord du pays, notamment dans les parcs nationaux et les zones frontalières. Le gouvernement béninois a réagi en renforçant ses capacités militaires et en déployant des forces pour sécuriser les frontières.
Cependant, la question de la communauté peulh au Bénin est d’une importance capitale dans la stratégie de lutte contre le terrorisme. Le Bénin compte une importante population peulh, notamment dans le nord, le Borgou et l’Alibori. Si la cohabitation entre les communautés a été historiquement pacifique, les récits et les dynamiques observées dans les pays voisins devraient servir de mise en garde.
Il est crucial pour le Bénin d’éviter les pièges de l’amalgame et de la stigmatisation. Une approche qui associerait la communauté peulh, en tant que victime et partenaire, à la lutte contre le terrorisme, est essentielle. Cela implique des opérations militaires ciblées et respectueuses des Droits humains, le renforcement de l’État dans les zones rurales, la médiation et la résolution des conflits locaux et la lutte contre la désinformation et la stigmatisation, l’inclusion et la protection des communautés vulnérables.
Apporter des services publics de base (éducation, santé, justice) pour combler le vide que les terroristes tentent d’exploiter, aborder proactivement les tensions entre éleveurs et agriculteurs par des mécanismes de dialogue et de conciliation, pour éviter leur instrumentalisation, mener des campagnes de sensibilisation pour démonter les amalgames et promouvoir la cohésion sociale, en soulignant que le terrorisme n’a pas d’ethnie ni de religion et enfin s’assurer que les Peulhs, comme toutes les autres communautés, bénéficient de la protection de l’État et sont traités équitablement, sont des début de solution à la crise terroriste.
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L’histoire récente du Sahel est un rappel douloureux des conséquences de l’exclusion et de la stigmatisation. Les approches purement sécuritaires qui ne tiennent pas compte des dynamiques sociales et des Droits humains ont souvent eu l’effet inverse, alimentant la radicalisation et l’extension du terrorisme. Pour le Bénin, un pays réputé pour sa stabilité et sa cohésion, il est impératif d’apprendre de ces leçons.
La lutte contre le terrorisme ne peut être gagnée par la seule force des armes. Elle nécessite une approche holistique, combinant sécurité, développement, justice, bonne gouvernance et respect des droits humains. Le défi est immense, mais la capacité du Bénin à maintenir son unité nationale en dépend. Les Peulhs du Bénin, comme leurs frères et sœurs du Sahel, ne sont pas l’ennemi. Ils sont trop souvent les premières victimes d’une tragédie qu’il est impératif d’enrayer par la compréhension, la prévention et une action juste et équilibrée. Le destin de la nation en dépend.
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