Le divorce semble consommé entre l’État nigérien et Orano, l’héritier d’Areva et acteur historique de l’exploitation d’uranium dans le nord du pays. Depuis l’arrivée des nouvelles autorités à Niamey, les relations se sont progressivement tendues, jusqu’à atteindre un point de rupture. En cause : la volonté du Niger de revoir en profondeur les conditions d’exploitation de ses ressources naturelles, qu’il considère comme léguées à vil prix pendant des décennies. Dans ce climat de méfiance renforcée, la société française a vu son autorisation d’exploiter la mine géante d’Imouraren suspendue sine die, malgré des décennies de présence et d’investissements. Le terrain, jadis symbole d’un partenariat stratégique, est devenu un champ de tensions économiques et géopolitiques.
Orano sur le départ ?
Selon Reuters, Orano commence à envisager une option qu’elle avait longtemps repoussée : se désengager totalement du Niger. L’hypothèse d’une cession de ses actifs sur place n’est plus taboue. L’entreprise l’a elle-même reconnu récemment, indiquant qu’elle examinait ses options tout en privilégiant pour l’instant la voie juridique par le biais d’une procédure d’arbitrage engagée contre l’État nigérien. Mais en coulisse, les lignes bougent. Des groupes — dont les noms ne sont pas divulgués — auraient déjà manifesté un intérêt pour les mines concernées. Ces candidats potentiels sont libres de faire une offre, précise Orano, une manière de rappeler que les ressources ne restent jamais orphelines très longtemps.
Cette possible vente serait un tournant majeur, à la fois pour Orano, qui perdrait un pilier historique de son approvisionnement, et pour le Niger, qui chercherait à réattribuer ces permis à d’autres partenaires jugés plus respectueux de sa souveraineté et de ses intérêts économiques. Dans cette partie d’échecs, chaque mouvement est scruté à l’échelle internationale, tant l’uranium demeure une ressource stratégique, vitale pour les chaînes d’approvisionnement en énergie nucléaire.
Des enjeux bien au-delà du secteur minier
Ce bras de fer entre Niamey et l’industriel français ne se joue pas seulement sur les questions de concessions ou de production. Il cristallise des rapports de force plus profonds, liés à la volonté affichée du Niger de redéfinir ses partenariats économiques. Le pays, riche en sous-sol mais longtemps marginalisé dans les chaînes de valeur mondiales, veut aujourd’hui reprendre la main. La suspension du projet Imouraren, dont les réserves sont parmi les plus importantes d’Afrique, symbolise cette volonté de rupture. C’est aussi un signal adressé à d’autres multinationales opérant en Afrique : l’époque des deals déséquilibrés semble toucher à sa fin dans certaines capitales du continent.
Orano, de son côté, semble avoir perdu sa place privilégiée. Si la société affirme vouloir résoudre le différend dans le cadre légal, l’exploration d’options alternatives, dont la cession pure et simple de ses actifs nigériens, laisse entendre qu’elle ne se fait plus beaucoup d’illusions. Cette évolution stratégique ne serait pas anodine : elle marquerait la fin d’un chapitre vieux de plus de cinquante ans, et ouvrirait la porte à de nouveaux acteurs, venus de pays émergents ou de puissances concurrentes de la France dans la région.
Une décision qui redessinerait la carte du nucléaire
La situation actuelle met en lumière les fragilités d’un modèle énergétique encore très dépendant de l’exploitation de ressources situées dans des zones géopolitiquement instables. Pour Orano, perdre le Niger reviendrait à réduire sa marge de manœuvre dans l’approvisionnement en uranium, alors même que la demande mondiale pour l’énergie nucléaire connaît un regain, sous l’effet des politiques de décarbonation. Pour le Niger, en revanche, l’ouverture à de nouveaux partenariats pourrait offrir une bouffée d’air, à condition de s’assurer que les nouveaux contrats soient plus avantageux et transparents.
Dans ce contexte, toute décision radicale sur l’avenir des mines nigériennes n’aura pas seulement des répercussions locales. Elle pourrait rebattre les cartes des flux d’uranium au niveau mondial, déplacer les centres de pouvoir et forcer les acteurs historiques du nucléaire à repenser leur stratégie. Le sort des gisements d’Imouraren et d’Arlit dépasse donc largement le cadre d’un simple litige commercial : c’est une séquence révélatrice des bouleversements qui redéfinissent, en profondeur, les équilibres énergétiques et diplomatiques entre l’Afrique et ses anciens partenaires.
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