Le paysage budgétaire sénégalais est à la croisée des chemins. La Cour des comptes a récemment mis à nu un déséquilibre d’ampleur dans les finances publiques : plus de 2 500 milliards de FCFA de dettes non comptabilisées, portant la dette réelle du pays à près de 18 560 milliards FCFA — un montant avoisinant la totalité du produit intérieur brut. Ces chiffres contredisent les déclarations officielles des années précédentes, révélant une pratique administrative marquée par l’opacité et des engagements financiers dissimulés sur plusieurs exercices.
Face à cette réalité, le Ministère des Finances a dû revoir sa copie. Les Rapports Trimestriels d’Exécution Budgétaire (RTEB), outils clés de transparence économique, accusent un retard inédit. Ceux du dernier trimestre de 2024 et du premier trimestre de 2025 n’ont toujours pas été rendus publics, alors qu’ils étaient attendus depuis des mois. Une situation qui alimente les critiques sur la gestion des finances publiques et interroge sur la solidité du cadre légal en matière de reddition de comptes.
Vers une réforme structurelle du traitement budgétaire
Pour rétablir la confiance, une réforme de fond a été amorcée : les dépenses extrabudgétaires identifiées seront désormais intégrées dans l’année au cours de laquelle elles ont été engagées. Cette mesure rompt avec la pratique antérieure, qui consistait à faire glisser ces charges sur les exercices suivants, faussant ainsi les bilans et les projections.
Cette évolution suppose un changement de culture dans la gestion budgétaire de l’État. Elle impose à l’ensemble des ministères, agences et démembrements de l’administration de respecter des procédures de traçabilité rigoureuses. Elle exige aussi une mise à niveau des systèmes de collecte et de traitement de l’information comptable, sans quoi les RTEB risquent de demeurer de simples exercices de style.
Les deux rapports attendus pour le 23 juin doivent donc refléter cette nouvelle orientation. Ils seront scrutés à la loupe par les bailleurs internationaux, les partenaires techniques, mais aussi par l’opinion publique, qui réclame davantage de transparence et de rigueur dans la gestion des deniers publics.
Une opposition qui dénonce un recul démocratique
Cette attente prolongée a également réveillé les tensions politiques. L’ancien ministre de la Jeunesse, Pape Malick Ndour, membre de l’Alliance pour la République (APR), n’a pas mâché ses mots. Il dénonce une rupture brutale avec les pratiques de gouvernance établies sous les précédents gouvernements. Pour lui, l’absence de publication des rapports financiers à ce stade de l’année constitue une entorse grave au Code de transparence des finances publiques, une loi à valeur contraignante.
Au-delà de la technique budgétaire, c’est donc aussi un bras de fer politique qui se joue. L’ancien régime se défend, la nouvelle équipe ajuste, les institutions de contrôle alertent, et le citoyen, dans tout cela, attend de comprendre comment des milliards de dettes ont pu disparaître des radars.
La publication simultanée des deux RTEB, attendue ce 23 juin, marquera une étape importante dans ce processus de clarification. Elle sera le premier test de vérité d’un gouvernement décidé à sortir de l’héritage comptable controversé laissé par son prédécesseur.


