Sénégal : L'exception malheureuse du prix de mouton

À quelques semaines de la Tabaski, les allées des marchés de Dakar racontent une histoire bien différente des annonces officielles. Malgré une série de mesures annoncées pour faciliter l’approvisionnement en moutons — exonérations fiscales, relâchement des contrôles douaniers, autorisation renforcée pour les convoyeurs — les prix des béliers continuent de s’envoler. À la capitale, il faut compter entre 150 000 et 700 000 francs CFA, parfois davantage, pour acquérir un animal convenable. Une somme hors de portée pour de nombreuses familles, qui s’attendaient à un réel impact des décisions étatiques. Au lieu d’une baisse espérée, c’est un marché saturé d’incertitudes où l’offre semble avoir du mal à épouser la demande.

Le poids invisible de l’aliment

Derrière l’affichage des tarifs dans les points de vente, un autre facteur pèse lourdement : le prix de l’aliment pour bétail. Selon plusieurs éleveurs, le sac de 50 kg se négocie actuellement à 14 000 francs CFA sur le marché, alors que son prix usine est annoncé à 9 000. Un meunier expérimenté estime même que ce même sac ne devrait pas dépasser les 5 000 francs si les circuits de distribution fonctionnaient efficacement. Ce différentiel, qui peut doubler le coût réel, se répercute inévitablement sur le consommateur final. L’éleveur, déjà confronté à des frais de transport, à des taxes parfois masquées, et à l’obligation de surveiller les animaux durant les longues traversées, se retrouve coincé entre pénurie logistique et flambée spéculative. Résultat : au lieu d’alléger, les dispositifs annoncés n’arrivent pas à freiner une mécanique de renchérissement déjà bien installée.

Une équation qui pénalise le citoyen ordinaire

Chaque Tabaski, la quête du mouton devient un véritable rituel pour des millions de Sénégalais. Mais cette année, les familles modestes se heurtent à une réalité brutale : même avec la meilleure volonté du monde, sacrifier un bélier digne de ce nom devient un luxe. Les efforts gouvernementaux, s’ils sont visibles sur le papier, peinent à neutraliser les mécanismes intermédiaires où s’engouffrent spéculateurs, revendeurs et distributeurs peu scrupuleux. Le paradoxe est là : plus de souplesse réglementaire, mais des prix toujours hors normes. Le mouton, au lieu d’être un symbole de partage, devient une épreuve économique et morale.

L’exception sénégalaise cette année n’est pas celle de la solidarité, mais celle d’un marché qui refuse de se stabiliser, malgré les leviers activés. Si rien ne change rapidement, ce ne seront pas seulement les éleveurs qui paieront le prix du déséquilibre, mais une population entière pour qui la Tabaski est aussi une fête de dignité.

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