Depuis des décennies, l’Algérie règne sur le gaz maghrébin, grâce à ses réserves colossales et à un réseau dense de canalisations qui relient le Sahara aux marchés européens. Ce monopole historique façonne les rapports de force dans la région. Mais le Maroc entend briser ce déséquilibre. Porté par une vision d’autonomie énergétique et de diversification, le pays passe à l’offensive avec un vaste plan de développement dans le secteur gazier. Un appel d’offres vient d’être lancé par le ministère de la Transition énergétique, visant à attirer des acteurs capables de concrétiser cette transformation.
Une chaîne complète, de la mer à la production
Au cœur du projet : la création d’un pôle gazier intégré, articulé autour de trois grandes infrastructures. D’abord, un terminal destiné à accueillir du gaz naturel liquéfié (GNL) sera implanté dans l’enceinte du port de Nador West Med, sur la façade méditerranéenne. Il aura pour fonction d’assurer le déchargement, le stockage et la reconversion du gaz sous forme exploitable. Ensuite, une centrale de production d’électricité à cycle combiné – technologie qui maximise le rendement en utilisant la chaleur résiduelle des turbines à gaz – devrait injecter jusqu’à 1 200 mégawatts dans le réseau. Enfin, deux conduites viendront relier l’ensemble au Gazoduc Maghreb-Europe, assurant l’acheminement du gaz sur de longues distances.
Ces installations ne sont pas pensées isolément : elles forment une chaîne fluide, où chaque maillon dépend de l’autre. Le terminal maritime sert d’entrée, la centrale transforme, les conduites distribuent. C’est toute une logique industrielle qui est en train de se structurer, dans un pays qui cherche à se positionner comme un futur carrefour gazier entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe.
Course contre la montre et ouverture internationale
Le calendrier fixé par les autorités ne laisse que peu de place à l’improvisation. Les investisseurs ont jusqu’au 23 juillet pour manifester leur intérêt, un délai qui souligne l’urgence du projet. En fixant la mise en service à l’horizon 2027, le gouvernement affiche une volonté d’aller vite, tout en envoyant un message clair : le temps du Maroc simple importateur est révolu.
Cet appel s’adresse autant aux entreprises marocaines qu’aux acteurs internationaux. L’enjeu ne se limite pas à la construction : il s’agit de trouver des partenaires capables de concevoir, financer et opérer des infrastructures stratégiques. La démarche révèle aussi une volonté d’ouverture, mais avec des objectifs bien définis. Le royaume ne veut pas seulement attirer des capitaux : il cherche à bâtir un modèle énergétique robuste, à la fois résilient et flexible.
Ce projet pourrait représenter un tournant. Dans une région longtemps dominée par un acteur unique, l’émergence d’un second pôle gazier, capable de traiter, produire et redistribuer l’énergie, modifie en profondeur les équilibres. Pour le Maroc, c’est une opportunité de renforcer son poids géopolitique, tout en sécurisant son avenir énergétique. Pour les investisseurs, c’est un pari sur une ambition clairement affichée : transformer les contraintes passées en levier de développement.



