Immigration en Europe : l’Allemagne prend une décision inattendue

Friedrich Merz. Photo : Getty Images/Sean Gallup

Depuis des décennies, l’immigration façonne les débats politiques à travers l’Europe, polarisant les opinions publiques et influençant les équilibres électoraux. Des crises migratoires successives – des Balkans aux printemps arabes, en passant par l’exode syrien – ont mis à rude épreuve les dispositifs d’accueil et révélé les divisions entre pays membres. Alors que certains appellent à une solidarité accrue, d’autres préfèrent renforcer leurs frontières et accélérer les expulsions. Face à cette situation , Berlin vient de surprendre en envisageant une mesure radicale : négocier directement avec les talibans pour organiser des retours forcés vers l’Afghanistan.

Un projet de retour direct sous haute tension

Lors d’une interview donnée à Focus le 3 juillet, le ministre de l’Intérieur, Alexander Dobrindt, a dévoilé une piste de travail inattendue : établir des accords bilatéraux avec le régime taliban pour permettre le renvoi de ressortissants afghans depuis le sol allemand. Une telle démarche, bien qu’encore hypothétique, bouleverse les lignes rouges traditionnellement suivies par la diplomatie allemande. Jusqu’ici, tout contact avec les autorités de Kaboul devait passer par des médiateurs, du fait de la non-reconnaissance officielle du pouvoir taliban par Berlin et la majorité des États occidentaux. Le ministre estime cependant que cette méthode ne peut être maintenue indéfiniment et évoque la nécessité d’une solution plus directe et durable.

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Ce positionnement a provoqué de vives réactions. Le Parti social-démocrate (SPD), a rapidement exprimé ses réserves. Pour ses membres, il est inconcevable d’initier des échanges qui pourraient être interprétés comme une forme de reconnaissance implicite d’un pouvoir dont les méthodes et l’idéologie restent largement condamnées sur la scène internationale. Le spectre d’une normalisation diplomatique des talibans, via des canaux techniques ou humanitaires, continue de diviser les rangs politiques allemands.

Une équation morale, juridique et sécuritaire

Envisager des rapatriements directs vers l’Afghanistan soulève des questions multiples. D’un point de vue juridique, l’Allemagne est tenue par le droit international de ne pas exposer les personnes expulsées à des persécutions ou à des traitements inhumains. Or, les rapports des ONG et des agences onusiennes continuent de dresser un tableau sombre de la situation sécuritaire et des droits humains sous le régime taliban, notamment pour les femmes, les minorités ethniques et les anciens collaborateurs des forces étrangères.

Sur le plan moral, la proposition semble aller à contre-courant de la prudence habituellement observée dans les affaires migratoires sensibles. Peut-on, au nom de l’efficacité migratoire, coopérer avec un régime accusé de violations massives des droits fondamentaux ? C’est précisément cette interrogation qui alimente la controverse au sein du gouvernement allemand. Le dilemme rappelle d’autres cas européens où des choix stratégiques ont été faits avec des partenaires problématiques pour contenir les flux migratoires – à l’image des accords conclus entre l’UE et la Libye.

Des enjeux politiques en toile de fond

La prise de position du ministre de l’Intérieur ne se comprend pas seulement à l’aune des considérations techniques. Elle résonne avec une pression croissante exercée par une partie de l’électorat allemand favorable à un durcissement de la politique migratoire. À mesure que les échéances électorales approchent et que l’extrême droite gagne du terrain dans les sondages, les partis traditionnels sont tentés de reprendre certaines de leurs thématiques sécuritaires. Évoquer donc un retour au dialogue – même indirect – avec les talibans pourrait répondre à une logique de fermeté destinée à rassurer une opinion publique préoccupée par l’immigration irrégulière.

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Toutefois, cette stratégie comporte des risques majeurs pour l’image internationale de l’Allemagne. En affichant une volonté de discuter avec un pouvoir ostracisé, Berlin pourrait s’exposer à des critiques de ses alliés et perdre de sa crédibilité en matière de défense des droits humains. Ce débat met en lumière les contradictions croissantes entre les objectifs de contrôle migratoire et les principes proclamés en politique étrangère.

L’Allemagne devra arbitrer entre pragmatisme politique, considérations juridiques et fidélité à ses engagements moraux. Mais une chose est sûre : en envisageant de traiter directement avec Kaboul, Berlin vient de faire un pas qui pourrait redessiner les contours de sa politique migratoire – et ouvrir la voie à de nouvelles controverses sur la scène européenne.

Une réponse

  1. Avatar de Moustapha
    Moustapha

    un enjeu diplomatique très délicat.

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