Début 2025, Washington avait déjà trouvé une solution radicale pour éloigner certains profils jugés indésirables : les envoyer au Salvador, quel que soit leur pays d’origine. Le gouvernement de Nayib Bukele s’était alors montré disposé à recevoir des ressortissants étrangers, y compris des condamnés américains, dans une prison de haute sécurité surnommée « la mégaprison ». Cette opération, qui ressemblait à une externalisation du système carcéral américain, avait suscité un tollé auprès des défenseurs des droits humains, qui y voyaient un abandon pur et simple des obligations de justice élémentaire. En installant des migrants dans des conditions de détention sévères, sans garantie juridique claire, les États-Unis testaient les limites de ce qu’un pays tiers pouvait accepter. Ce précédent a ouvert la voie à une nouvelle logique, où l’expulsion ne rime plus avec retour au pays d’origine, mais avec délestage dans des États disposés à accueillir, pour diverses raisons, des étrangers sans attaches locales.
Une arrivée discrète mais symbolique à Juba
Ce samedi 5 juillet, huit personnes en situation irrégulière ont été transférées au Soudan du Sud, une opération confirmée par les autorités sud-soudanaises ainsi que par le département américain de la Sécurité intérieure, à l’origine de cette décision. La majorité n’est originaire ni de ce pays, ni liée à son territoire. Pourtant, c’est là qu’ils ont été débarqués, après avoir été maintenus plusieurs semaines sur une base militaire américaine située à Djibouti. Leur transfert a été rendu possible par une décision de la plus haute juridiction des États-Unis, qui a donné son feu vert à leur expulsion malgré les recours judiciaires en cours. Des voix s’étaient élevées pour dénoncer l’absence de procédure équitable permettant à ces individus de contester leur sort. Mais ces objections n’ont pas suffi à bloquer la machine. Résultat : un pays en reconstruction, dont les structures étatiques restent fragiles, se retrouve à accueillir des migrants venus d’ailleurs, sans réelle préparation ni mandat international.
Un modèle de gestion migratoire controversé
En confiant le sort de certains migrants à des nations qui n’ont rien à voir avec leur parcours, les États-Unis renforcent un dispositif opaque et pragmatique, où la dimension humanitaire passe au second plan. Le cas du Soudan du Sud montre ce glissement : un accord implicite semble exister entre Washington et Juba, reposant probablement sur des avantages économiques ou diplomatiques en échange de cette coopération. Cette logique rappelle celle mise en œuvre avec le Salvador, où la gestion de la migration devient une marchandise échangée dans l’arrière-boutique des relations internationales. Mais à quel prix ? Pour les migrants, c’est la désorientation totale. Privés de tout repère et abandonnés à des systèmes qu’ils ne connaissent pas, ils deviennent des variables d’ajustement dans des politiques où l’efficacité prend le pas sur l’éthique.
Cette nouvelle étape dans les expulsions américaines montre à quel point la géographie de la migration peut être redessinée non par les trajets des personnes, mais par les accords entre États. Et dans ce jeu de placements forcés, c’est souvent là où les voix sont les moins entendues que tombent les corps.
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