Perchée dans les montagnes du Rif, Chefchaouen a longtemps été un joyau discret du nord du Maroc, où les teintes indigo et azur recouvrent murs, escaliers, portes et fontaines. Fondée au XVe siècle, la ville fascine par son identité visuelle unique, au point d’en faire un décor rêvé pour les photographes, les créateurs de contenus ou les voyageurs en quête d’authenticité. En quelques années, son aura a dépassé les frontières grâce aux réseaux sociaux, où ses ruelles pittoresques aux murs bleus sont devenues iconiques. Mais voilà qu’à plus de 8 000 kilomètres de là, en Chine, une autre Chefchaouen vient de voir le jour – cette fois, sans minaret ni médina ancienne, mais entre des attractions touristiques en plein parc à thème.
Une copie grandeur nature au cœur de la Mandchourie
Depuis le 8 juin, les visiteurs du Harbin Polarland, parc situé à Harbin, dans le nord-est de la Chine, peuvent déambuler dans une reproduction grandeur nature de Chefchaouen. Des murs soigneusement peints en bleu pastel, des fontaines typiques, des escaliers fleuris et même des enseignes en arabe et en espagnol ont été installés dans ce qui s’apparente à un décor de cinéma figé dans l’exotisme. L’objectif affiché par les promoteurs chinois : offrir à leur public un aperçu immersif d’un lieu « trop lointain » pour beaucoup. Autrement dit, faire voyager sans franchir les frontières, mais avec une fidélité architecturale qui soulève questions et étonnements.
Ce n’est pas la première fois que la Chine reproduit une ville étrangère. De Paris à Venise en passant par Hallstatt, les copies chinoises de sites emblématiques sont nombreuses. Toutefois, voir Chefchaouen, patrimoine vivant marocain, transformée en attraction statique, interpelle. L’initiative, bien que présentée comme éducative et sensorielle, efface le lien profond entre la ville et ses habitants, entre ses murs bleus et l’histoire amazighe, andalouse et arabo-musulmane qui leur donne sens.
Un reflet qui interroge l’original
Cette duplication soulève plusieurs dilemmes : peut-on isoler la beauté d’un lieu de sa culture, de sa population, de ses odeurs, de sa mémoire ? En réduisant Chefchaouen à un décor pittoresque, la version chinoise s’adresse à l’œil plus qu’à l’âme, transformant une ville vivante en décor photogénique. Cette démarche, bien qu’habituelle dans certains circuits touristiques chinois, touche ici un lieu qui, au Maroc, incarne à la fois une fierté nationale, un symbole d’identité culturelle et une source de revenus pour les populations locales.
Cette imitation à grande échelle ne manque pas de susciter des réactions sur les réseaux sociaux, où certains Marocains oscillent entre fascination et agacement. D’un côté, cette visibilité accrue peut renforcer l’attractivité du Chefchaouen originel. De l’autre, elle alimente le sentiment d’appropriation culturelle silencieuse, d’autant que la reconstitution chinoise ne semble pas avoir été réalisée en partenariat avec des institutions marocaines.



