Sénégal : Crise de la justice, le jugement de Fofana et Diakhaté encore prorogé

Depuis plus d’un mois, la justice sénégalaise fonctionne au ralenti. À l’origine de cette paralysie : un mouvement de grève des greffiers entamé le 18 juin, aggravé par une tentative de réquisition ordonnée par le ministère de la Justice, qui a provoqué l’effet inverse. Loin de ramener le calme, cette décision a renforcé la détermination des grévistes. Le blocage qui en découle retient aujourd’hui dans les mailles administratives plusieurs détenus en attente de verdict, dont Bachir Fofana et Moustapha Diakhaté, deux figures emblématiques de ce marasme judiciaire.

Le premier, journaliste poursuivi pour diffusion de fausses nouvelles, est en détention préventive depuis plusieurs semaines. Il lui est reproché d’avoir publié des allégations selon lesquelles un marché public relatif à l’acquisition de véhicules pour l’Assemblée nationale aurait profité à un acteur impliqué dans une affaire de corruption. Malgré sa demande de liberté provisoire, la justice a maintenu son incarcération, tandis que le parquet a requis à son encontre six mois de prison, dont trois fermes, accompagnés d’une amende de 200 000 FCFA. Jugé le 2 juillet, Bachir Fofana n’a toujours pas vu son sort tranché, faute de personnel judiciaire pour faire avancer le processus.

Le poids de l’attente pour les prévenus

Le cas de Moustapha Diakhaté suit une trajectoire similaire. Ancien député de la coalition Benno Bokk Yakaar, il est poursuivi pour offense au chef de l’État après avoir tenu des propos jugés attentatoires à l’institution présidentielle. La procédure, lancée le 18 juin, n’a pas davantage progressé depuis. Là encore, le ministère public a requis une peine de six mois de prison dont trois fermes, avec la même amende de 200 000 FCFA. Mais la sentence tarde, suspendue à un contexte administratif figé.

Les audiences de ces deux hommes, pourtant distinctes par nature, illustrent un même dysfonctionnement : une incapacité du système judiciaire à assurer le traitement normal des affaires en raison d’un conflit social mal géré. La situation se prolonge. Après plusieurs rendez-vous reportés, les nouvelles dates de délibéré ont été fixées au 23 puis au 30 juillet 2025, sous réserve du rétablissement des conditions de fonctionnement des tribunaux.

Quand les cellules deviennent salles d’attente

Au-delà des cas de Fofana et Diakhaté, c’est toute la chaîne judiciaire qui vacille. La grève des greffiers, acteurs indispensables au bon déroulement des procédures, a transformé les cellules de Rebeuss en salles d’attente sans fin. Les conséquences ne sont pas seulement administratives : elles sont humaines. Derrière chaque report se cachent des détenus, des familles, des avocats, et une opinion publique suspendue à des décisions qui ne viennent pas.

“Encore une énième prorogation”, a déploré Me Elhadji Diouf devant le tribunal, reflétant une lassitude qui gagne tous les acteurs concernés. La justice, censée trancher, semble elle-même dans l’indécision.

Ce blocage pose une question fondamentale : que vaut une procédure judiciaire sans les moyens de l’exécuter ? L’État de droit repose sur la continuité des institutions, or celle-ci est aujourd’hui sérieusement compromise. Si les cas de Fofana et Diakhaté attirent l’attention médiatique, ils ne sont que les visages visibles d’un désordre plus large qui touche des dizaines, voire des centaines de personnes dans les mêmes conditions.

En l’absence d’un règlement rapide du conflit, le risque est grand de voir se multiplier les cas de détentions prolongées, sans jugement. La justice sénégalaise se trouve à un carrefour : soit elle retrouve sa capacité à juger, soit elle s’expose à perdre sa légitimité aux yeux de ceux qu’elle est censée protéger.

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