En installant le Conseil national de son parti PASTEF, Ousmane Sonko a lancé un pavé dans la mare en s’attaquant directement à certaines composantes de la société civile. Pour le Premier ministre, des organisations jusque-là perçues comme des alliées du changement tenteraient aujourd’hui d’orienter l’action gouvernementale en dehors du cadre démocratiquement validé. Il a annoncé l’élaboration prochaine d’un texte de loi interdisant les financements extérieurs de ces structures, évoquant une forme d’ingérence voilée incompatible avec la souveraineté de l’État. Le ton employé tranche avec les rapports traditionnels entretenus entre société civile et pouvoir exécutif au Sénégal, et ouvre une séquence politique sous tension.
Cette déclaration a aussitôt ravivé les débats sur la place des ONG, leur rôle d’alerte, mais aussi leur dépendance financière vis-à-vis de partenaires étrangers. Pour Sonko, toute révolution politique ne peut s’accomplir si elle laisse subsister les outils, les méthodes et les influences du régime précédent. Le contrôle des ressources, y compris celles qui alimentent les voix critiques, devient alors un enjeu stratégique.
Clédor Ly appelle à un nettoyage radical
Dans cette logique de rupture, l’avocat Ciré Clédor Ly a pris la parole pour enfoncer le clou. Pour lui, une révolution ne se contente pas de changer les visages, elle doit éradiquer les structures de l’ancien pouvoir. Il s’inquiète du maintien de figures clés de l’ancien régime à des postes sensibles, y voyant une manœuvre de neutralisation du changement en cours. Il appelle à identifier et éliminer les réseaux occultes, qualifiés de « lobbys réinstallés », qui agiraient sous couvert de la société civile ou de relations internationales.
Selon l’avocat, la réussite du projet politique porté par PASTEF dépendra de sa capacité à affronter ces puissances invisibles qui, selon lui, instrumentalisent les principes démocratiques pour conserver une influence. Il va plus loin encore en plaidant pour une mobilisation des services de renseignement afin de traquer les acteurs internes et externes qui chercheraient à fragiliser le régime de l’intérieur. Le ton est grave, presque martial, comme s’il s’agissait d’un second front dans une bataille politique qui dépasse le cadre électoral.
Gassama défend les contre-pouvoirs
La riposte ne s’est pas fait attendre. Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal, a réagi avec fermeté en rappelant le rôle fondamental joué par les ONG dans la dénonciation des dérives du précédent pouvoir. Il réfute toute accusation de manipulation, soulignant que la mission de son organisation repose sur des principes universels de justice et de droits humains, indépendamment des régimes en place. Sur la plateforme X, il a critiqué les propos de Clédor Ly, qu’il juge excessifs et dangereux pour la vitalité démocratique du pays.
Selon lui, limiter les sources de financement des organisations civiles reviendrait à les asphyxier et, par ricochet, à réduire les possibilités d’expression critique au sein de la société. Il évoque également le cadre juridique qui encadre les relations entre ONG et bailleurs internationaux, rappelant que la transparence est la norme dans la plupart des grandes structures de défense des droits humains. La charge de Gassama est aussi un appel à ne pas confondre vigilance démocratique et chasse aux sorcières.
Ce débat réveille des lignes de fracture anciennes au Sénégal : entre la volonté de rupture radicale et la continuité institutionnelle, entre protection de la souveraineté nationale et nécessité de préserver des espaces indépendants. À mesure que le pouvoir avance ses réformes, la société civile s’organise pour ne pas devenir le dommage collatéral d’une révolution politique qu’elle a, en partie, contribué à faire naître. La confrontation d’idées, si elle reste encadrée par le respect mutuel, pourrait au contraire enrichir l’ancrage démocratique du Sénégal. Encore faut-il que l’affrontement n’emporte pas la possibilité du dialogue.



