Sénégal : L'Hôpital Idrissa Pouye prêt mais ne réalise pas de greffe rénale

À Grand Yoff, au cœur de Dakar, un bloc opératoire attend depuis plusieurs mois qu’on y ouvre le rideau pour une intervention hautement symbolique : la première greffe rénale de l’Hôpital Général Idrissa Pouye (HOGIP). Les salles sont équipées, les équipes formées, l’accréditation officielle est en poche depuis mai 2024. Pourtant, aucune transplantation n’a encore été réalisée. Le seul obstacle : l’absence de financement public.

Cette situation tranche avec ce qui se passe à quelques kilomètres de là, à l’Hôpital Militaire de Ouakam (HMO), où cinq transplantations ont déjà été menées avec succès entre novembre 2023 et juillet 2024. La dernière, le 27 juillet, a été assurée intégralement par des spécialistes sénégalais, sans appui étranger. Le contraste entre les deux établissements illustre une réalité frustrante : la compétence est là, mais les moyens ne suivent pas partout.

Une mécanique prête à fonctionner

Le service d’urologie de HOGIP a franchi toutes les étapes préparatoires. Sous la coordination du Dr Issa Labou, les chirurgiens, anesthésistes, biologistes et infirmiers spécialisés ont suivi des formations spécifiques en France et en Tunisie. Le protocole est défini, les circuits logistiques sont établis, la plateforme immunologique est opérationnelle. La machine n’attend qu’une impulsion politique et budgétaire.

Selon les estimations établies sur la base des expériences menées à HMO, une greffe de rein au Sénégal coûte environ 15 millions de francs CFA. Ce montant couvre le bilan du donneur, l’intervention chirurgicale, l’hospitalisation, les soins post-opératoires et surtout les médicaments immunosuppresseurs, indispensables à la survie de la greffe. Pour les familles concernées, déjà fragilisées par les frais chroniques de dialyse, ce coût reste inaccessible sans prise en charge publique.

Le Dr Labou est catégorique : « la prise en charge de la transplantation rénale doit être une mission régalienne de l’État » Le centre hospitalier n’a pas la capacité financière d’assumer seul une telle opération. L’établissement, bien que public, fonctionne avec des ressources limitées et ne bénéficie d’aucune ligne budgétaire dédiée à la transplantation.

Un précédent militaire, un modèle civil à construire

À l’Hôpital militaire de Ouakam, les premières greffes ont été lancées sous l’impulsion de la direction de l’établissement, avec un soutien logistique turc initial. Les cinq interventions ont été intégralement financées par l’hôpital lui-même. Cette autonomie de financement, bien que louable, n’est pas extensible. Le personnel médical de HMO reconnaît lui-même que ce modèle ne pourra pas être répliqué indéfiniment sans un appui structurel de l’État.

La réussite de ces interventions prouve que le Sénégal dispose désormais des compétences humaines nécessaires. Il ne s’agit plus de savoir-faire importé, mais bien d’une expertise locale maîtrisée. Le problème est ailleurs : il se situe dans l’absence d’un mécanisme pérenne de financement public pour cette activité vitale.

Une attente prolongée qui interroge

L’Hôpital Idrissa Pouye ne demande pas de privilège, seulement le déclenchement d’un levier budgétaire pour pouvoir agir. Le contraste avec HMO souligne un déséquilibre inquiétant dans l’accès à une médecine pourtant désormais possible sur le plan technique.

Chaque mois qui passe retarde le soulagement de dizaines de patients candidats à la greffe, dont l’état de santé se détériore sous dialyse, avec un coût humain et économique considérable. Cette inertie institutionnelle pèse sur des équipes prêtes à entrer en action mais contraintes à l’immobilisme.

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