Sénégal : Marchés publics, le casse-tête des acteurs locaux du BTP

Sur les chantiers d’État, les engins tournent, les grues s’élèvent, mais ce sont rarement des entreprises sénégalaises qui en tiennent les manettes. Dans le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics, la frustration monte d’un cran face à une réalité de plus en plus pesante : près de 70 % des marchés publics en valeur échappent aux entreprises nationales, selon les données avancées lors d’un atelier consacré à la compétitivité du secteur privé. Ce déséquilibre ne relève pas du hasard. Derrière les appels d’offres, des critères jugés inaccessibles sont régulièrement pointés du doigt, comme autant d’obstacles érigés sur mesure pour disqualifier les structures locales.

Abdel Kader Ndiaye, président du Syndicat national des Entreprises du Bâtiment et des Travaux publics (Snbtp), dénonce ouvertement des pratiques qui fragilisent les capacités déjà limitées des entreprises nationales. « Les autorités contractantes connaissent parfaitement les profils des entreprises locales et fixent des exigences qui les éliminent d’emblée », affirme-t-il. Cette méthode consistant à calibrer les conditions d’accès pour favoriser des opérateurs étrangers, souvent mieux capitalisés ou disposant de garanties plus robustes, soulève des interrogations sur la transparence et la volonté de construire un tissu économique local durable.


Une compétition déséquilibrée sur fond de dépendance

Au-delà des conditions techniques, c’est tout un système d’attribution des marchés qui est remis en question. Les critères de sélection, qu’ils soient liés aux capacités financières, aux références techniques ou à l’équipement, reproduisent une hiérarchie défavorable à l’entrepreneuriat national. Les entreprises sénégalaises se retrouvent cantonnées à des postes de sous-traitants ou à des chantiers de moindre envergure, les empêchant de monter en compétence ou de structurer leur activité sur le long terme.

Moustapha Djitté, directeur général de l’Autorité de Régulation de la Commande publique (Arcop), alerte sur cette dérive. Si la commande publique devait être un levier de développement, elle devient au contraire un facteur de dépendance économique. Le phénomène prend d’autant plus d’ampleur que les multinationales disposent d’équipes de montage de dossiers plus aguerries, d’une ingénierie financière plus solide et d’un réseau d’influence mieux structuré.

L’enjeu dépasse la seule question de l’accès aux marchés. Il interroge le modèle de croissance choisi : faut-il continuer à confier les infrastructures nationales à des groupes étrangers alors même que les compétences locales existent mais peinent à être mises à niveau faute d’opportunités ?


Vers un tournant législatif en faveur du patriotisme économique

Face à cette situation, le pouvoir exécutif semble vouloir réagir. Yankhoba Diémé, ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et aériens, a récemment annoncé la préparation d’un projet de loi devant être présenté prochainement à l’Assemblée nationale. Cette loi devrait introduire des mesures favorables à la préférence nationale dans l’attribution des marchés publics, en intégrant une logique de patriotisme économique. Une telle orientation, si elle est effectivement adoptée, pourrait bouleverser l’écosystème des appels d’offres et redonner un souffle aux entreprises nationales trop souvent reléguées au second plan.

Mais les acteurs du secteur appellent à aller plus loin. Ils demandent une réforme structurelle des procédures, une meilleure répartition du portefeuille de la commande publique, et un accompagnement effectif pour la montée en qualité des entreprises locales. Sans cela, la future loi risque de n’être qu’un signal politique sans réelle portée opérationnelle.

Dans un pays où les infrastructures pèsent lourd dans le budget national et constituent une vitrine politique, la manière dont sont choisis les bâtisseurs reflète une vision plus large de la souveraineté. Pour les entreprises locales du BTP, il ne s’agit plus seulement de compétitivité : il s’agit d’exister.

Laisser un commentaire