Depuis plusieurs années, la terre est au cœur de nombreuses crispations au Sénégal. Les litiges fonciers, longtemps cantonnés à des rivalités villageoises ou à des erreurs d’enregistrement, ont pris une ampleur nouvelle, alimentés par une urbanisation croissante, des convoitises industrielles et des procédures administratives souvent opaques. Du centre-ville de Dakar aux recoins les plus reculés, des communautés entières s’élèvent contre ce qu’elles perçoivent comme une dépossession silencieuse, parfois entérinée au sommet de l’État. À Ndiaganiao, commune natale du président de la République, ce phénomène prend aujourd’hui un tour particulièrement tendu.
Une localité symbolique au bord de la rupture
Située à quelques encablures de la capitale, Ndiaganiao n’est pas qu’un simple village du département de Mbour. Elle représente un lieu de mémoire et d’ancrage politique : c’est là que le chef de l’État vient régulièrement accomplir son devoir civique, notamment lors des élections présidentielles et législatives. Mais ce symbole de stabilité institutionnelle est aujourd’hui traversé par une crise qui met en jeu bien plus que des hectares de terre.
Le village de Soussoum, qui dépend administrativement de Ndiaganiao, est secoué par une vive contestation. Deux sociétés, Transfavo et Elikane, ont obtenu respectivement 40 et 43 hectares pour exploiter les ressources minières de la zone. Ces autorisations, délivrées en 2023 par l’ex-ministre des Mines Omar Sarr, sont loin de faire l’unanimité. Pour de nombreux habitants, ces concessions ont été accordées sans concertation réelle, dans un silence administratif qui en dit long sur les rapports de force locaux.
Arrestations musclées et colère populaire
La contestation ne s’est pas limitée aux mots. Dans les derniers jours, les tensions se sont intensifiées jusqu’à conduire à l’arrestation de vingt quatre personnes issues des villages avoisinants. Ces interpellations, décrites comme brutales par les proches des concernés joints par Dakaractu, se seraient déroulées jusque dans leurs foyers, dans une atmosphère que certains assimilent à une démonstration de force plus qu’à une simple action de maintien de l’ordre.
Pour assurer leur défense, deux figures connues du barreau sénégalais, Me Boucounta Diallo et Me Faty, ont été sollicitées. Les personnes arrêtées doivent être présentées devant le procureur dans les prochaines heures. Ce recours à des avocats de renom illustre le sérieux de l’affaire et l’ampleur de l’indignation qu’elle suscite. Au-delà de la procédure judiciaire, c’est tout un territoire qui semble en état d’alerte, partagé entre peur de l’inconnu et volonté de préserver ce qu’il reste de ses droits coutumiers.
Un schéma devenu familier
La situation de Soussoum n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un modèle désormais bien rodé : une entreprise obtient une autorisation d’exploitation, souvent au détriment des usages locaux ancestraux, sans que les communautés directement concernées ne soient réellement consultées. L’arrivée des machines sur les terres cultivées ou habitées provoque des réactions épidermiques, parfois violentes. Les recours officiels sont rares, longs et coûteux. Et lorsqu’une localité choisit la voie de la protestation, elle se heurte souvent à une réponse sécuritaire.
Alors que la pression foncière s’accentue dans de nombreuses régions du pays, la crise de Soussoum agit comme un révélateur : celui d’un déséquilibre persistant entre développement économique et droits des populations locales.


