Les récentes convocations de figures médiatiques à la Division spéciale de la Cybercriminalité (DSC) ne passent pas inaperçues. Elles soulèvent des inquiétudes croissantes sur les rapports de plus en plus crispés entre journalistes et autorités politiques. Au cœur de cette tourmente, deux noms : Badara Gadiaga, chroniqueur influent de l’émission Jakaarlo sur TFM, et Madiambal Diagne, directeur du journal Le Quotidien. Tous deux ont été interpellés dans un contexte de tensions verbales en plateau et de critiques ciblées sur les réseaux sociaux.
Le cas Gadiaga, en particulier, agite les sphères politiques et médiatiques. À la suite d’un échange houleux avec le député Amadou Ba, membre du parti Pastef, lors d’un numéro particulièrement tendu de Jakaarlo, l’animateur s’est vu convoqué pour répondre de ses propos ce 9 juillet à 15h. L’annonce a déclenché une vague de protestations. Le député Pape Djibril Fall a immédiatement dénoncé ce qu’il considère comme une dérive, y voyant un danger pour le débat démocratique. Thierno Alassane Sall, pour sa part, a évoqué une instrumentalisation de la justice, fustigeant une tendance à cibler des voix critiques sous prétexte de régulation.
Le plateau télé, nouveau théâtre d’affrontements
Ce qui aurait pu rester un incident d’émission est rapidement devenu un révélateur. Jakaarlo, comme bien d’autres espaces télévisés, est devenu un terrain de confrontation idéologique où les chroniqueurs n’hésitent plus à s’attaquer frontalement à tous les bords politiques. Gadiaga, connu pour ses interventions sans filtre, ne ménage ni le pouvoir en place ni ses opposants. Ce positionnement transversal lui a valu une réputation de franc-tireur, mais aussi une certaine solitude : ni protégé par un parti, ni soutenu unanimement par la corporation, il devient une cible vulnérable.
Le climat tendu dans lequel ces débats se tiennent reflète l’état général du dialogue national. La télévision n’est plus seulement un média, elle devient une arène. Les propos qui s’y échangent, souvent à chaud, finissent désormais dans les salles d’interrogatoire. Le cas de Madiambal Diagne l’illustre. Convoqué pour un tweet en lien avec les mêmes échanges, il a été entendu le 8 juillet par la DSC avant d’être libéré sans suite. Il n’a pas manqué de qualifier cet épisode d’intimidation déguisée, s’interrogeant publiquement sur les intentions réelles derrière ces convocations à répétition.
Une ligne rouge de plus en plus floue
Au-delà de ces deux figures, c’est l’ensemble du paysage médiatique sénégalais qui semble pris dans un étau. Les journalistes et chroniqueurs marchent sur une corde raide : informer, commenter, mais sans dépasser des lignes que personne ne définit clairement. Cette ambiguïté alimente la peur, la prudence et parfois l’autocensure. Dans un pays où la liberté de la presse a longtemps été un motif de fierté, l’ombre d’un resserrement se dessine.
Mais il y a plus inquiétant encore : la normalisation de ces convocations judiciaires comme mode de régulation des paroles publiques. Plutôt que d’ouvrir le débat, elles le figent. Plutôt que de renforcer la responsabilité des acteurs médiatiques, elles les musèlent. Loin de pacifier le climat, ces pratiques risquent au contraire de radicaliser les discours, de pousser les opinions vers des extrêmes ou vers des silences contraints.



