Depuis la création du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien à l’ONU, le Sénégal en assure la présidence sans interruption. Ce mandat, souvent présenté comme un témoignage d’attachement profond à la cause palestinienne, a placé le pays au cœur du dispositif diplomatique onusien sur la question. Pourtant, alors que l’Afrique du Sud a lancé une procédure pour génocide contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ), Dakar n’a à ce jour ni rejoint la procédure, ni déposé de déclaration d’intervention en vertu des articles 62 ou 63 de la Convention de 1948.
Ce positionnement surprend d’autant plus que plusieurs pays du Sud, comme la Bolivie, la Colombie, ou le Belize, ont déjà pris part à la démarche, aux côtés de démocraties occidentales telles que l’Irlande, l’Espagne et le Mexique. Même le Brésil, souvent perçu comme diplomatiquement prudent sur les dossiers du Proche-Orient, a officialisé son adhésion à la cause sud-africaine devant la CIJ. Dans ce concert de déclarations solidaires, l’absence du Sénégal soulève des interrogations sur l’équilibre entre responsabilité institutionnelle et prudence géopolitique.
Une liste d’États croissante, un absent notable
À ce jour, douze États ont déposé des déclarations officielles pour soutenir la procédure de La Haye. Parmi eux figurent des puissances régionales influentes (Turquie, Mexique, Brésil) ainsi que des pays historiquement engagés sur les questions de justice internationale comme l’Espagne ou l’Irlande. La Palestine, bien entendu partie prenante, a été rejointe par des membres du monde arabe comme la Libye et des alliés politiques stratégiques comme Cuba.
Dans ce contexte, le Sénégal fait figure d’exception. Le pays, dont la diplomatie a toujours valorisé les principes de non-alignement et d’engagement panafricain, reste en retrait d’une mobilisation mondiale pourtant alignée sur ses positions historiques. Aucun acte procédural n’a pour l’instant été enregistré devant la CIJ ou la Cour pénale internationale (CPI) de la part de Dakar. Une réserve qui tranche avec le rôle de médiateur engagé que le Sénégal a longtemps revendiqué dans les enceintes multilatérales.
Entre neutralité tactique et décalage diplomatique
L’absence d’implication formelle du Sénégal dans le dossier juridique porté par l’Afrique du Sud pourrait relever d’un choix stratégique. Face aux équilibres sensibles entre ses partenariats occidentaux, ses liens économiques avec certains pays arabes, et la réaffirmation de sa souveraineté diplomatique, Dakar semble vouloir éviter toute posture qui compromettrait d’autres priorités bilatérales. Mais ce silence, au moment où la majorité des pays membres du Comité de soutien à la Palestine se mobilisent activement, fragilise la lisibilité de la position sénégalaise.
Le dilemme est clair : maintenir une ligne de neutralité pour ménager ses alliances, ou assumer publiquement une solidarité politique en phase avec ses engagements institutionnels. Dans un climat international où les procédures judiciaires prennent une valeur symbolique autant que juridique, l’absence sénégalaise dans le registre de La Haye pourrait être interprétée comme un recul diplomatique plutôt que comme une mesure de prudence.
Alors que d’autres capitales africaines s’engagent et que la société civile internationale s’organise autour des juridictions internationales, le Sénégal est désormais attendu sur une clarification. Sa voix, souvent citée comme exemplaire sur les dossiers palestiniens, pourrait être mise en doute si elle ne trouve pas un écho juridiquement concret dans les semaines à venir.



