Sénégal : Audit de 16 collectivités territoriales, à quoi s’attendre ?

Lorsqu’en 2015, un simple rapport de l’Inspection générale d’État avait été utilisé pour enclencher la procédure judiciaire contre Khalifa Sall, alors maire de Dakar, peu auraient imaginé l’onde de choc politique qui allait suivre. L’affaire de la “caisse d’avance”, devenue emblématique, a laissé une trace durable dans la mémoire politique sénégalaise. Pour beaucoup, elle a illustré comment un audit administratif pouvait se transformer en levier judiciaire, voire en outil de disqualification politique. Ce précédent hante aujourd’hui les esprits, alors que l’État lance une vaste mission d’inspection ciblant plusieurs collectivités stratégiques.

Une opération d’envergure dans un climat de méfiance

Depuis le 10 juillet 2025, le ministère dirigé par Moussa Bala Fofana a enclenché une vérification complète de la gestion de 16 collectivités territoriales, allant de grandes villes comme Dakar, Pikine, Saly, et Mbour, à des communes telles que Malicounda, Mbao, Louga, sans oublier le Conseil départemental de Rufisque. Cette mission, confiée à la Direction des collectivités territoriales, ne se limite pas à une revue comptable. Elle englobe aussi l’examen des procédures administratives, le fonctionnement des commissions, ainsi que le respect des règles de gouvernance locale.

L’initiative, présentée comme un outil de régulation et de renforcement des capacités, s’opère cependant dans un climat politique marqué par des tensions entre pouvoir central et autorités locales. Bon nombre des collectivités concernées sont dirigées par des figures de l’opposition ou des élus critiques du gouvernement en place. Cette coïncidence nourrit les soupçons de ciblage sélectif, renforcés par le souvenir encore vif de l’affaire Khalifa Sall.

Quelles suites possibles pour les entités concernées ?

En théorie, ces vérifications peuvent déboucher sur plusieurs issues. Les collectivités affichant une gestion conforme seront probablement confortées dans leurs fonctions, renforçant leur légitimité. Mais pour celles chez qui des manquements seraient identifiés, les conséquences pourraient aller de simples observations à des mises en demeure, voire à des transmissions aux autorités judiciaires.

Dans certains cas, l’État pourrait aller jusqu’à proposer la suspension ou révocation d’un maire, si les fautes constatées sont jugées graves. La Cour des Comptes ou le Parquet financier pourraient aussi être saisis, comme cela a été le cas dans le passé. Le gel temporaire de transferts budgétaires à certaines communes est également une option envisageable.

Ce spectre d’éventualités met les exécutifs locaux sous pression. Ils doivent désormais composer avec un regard renforcé de l’administration centrale, à un moment où la gestion des ressources locales — foncières, budgétaires ou humaines — est déjà sujette à de nombreuses critiques. Pour plusieurs maires, cette mission est perçue autant comme un test de rigueur que comme un risque politique.

Autonomie locale ou recentralisation masquée ?

La dynamique actuelle soulève une question cruciale : où se situe la ligne entre contrôle légitime et interférence politique ? Les collectivités territoriales, bien qu’autonomes sur le papier, restent encadrées par des dispositifs administratifs étatiques. L’enjeu devient donc de préserver l’équilibre entre autonomie locale et exigence de redevabilité. Toute action perçue comme déséquilibrée pourrait éroder davantage la confiance entre acteurs locaux et gouvernement central.

Si cette opération se veut exemplaire, transparente et méthodiquement équitable, elle pourrait contribuer à redorer l’image de la gouvernance locale. Mais si les audits se révèlent sélectifs ou orientés, ils pourraient relancer le débat sur la neutralité de l’administration et sur la frontière floue entre justice technique et règlement de comptes politiques.

Dans un pays où les collectivités territoriales jouent un rôle central dans la fourniture de services essentiels et la cohésion sociale, cette séquence aura des répercussions qui dépasseront largement les rapports d’audit eux-mêmes.

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