La directive bancaire adoptée par le Parlement européen inquiète particulièrement le Maroc, dont l’économie repose largement sur les fonds envoyés par ses ressortissants établis en Europe. Ces transferts, qui représentent un pilier essentiel des devises du pays, pourraient être affectés par la nouvelle réglementation. Rabat a déjà mobilisé ses institutions pour éviter un choc économique et préserver le lien vital avec sa diaspora.
Un pilier de l’économie marocaine menacé
Le Maroc figure parmi les pays les plus dépendants de sa diaspora pour l’équilibre de ses finances. En 2023, les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE) ont dépassé 11 milliards de dollars, soit plus de 7 % du PIB national. Ces flux dépassent les recettes du tourisme et constituent l’une des premières sources de devises étrangères.
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La particularité marocaine réside dans le fait que ses banques — comme Attijariwafa Bank, Banque Populaire ou BMCE — sont directement implantées en Europe. Elles proposent aux MRE des services rapides et sécurisés pour transférer leur argent au pays. Or, la directive européenne adoptée en juin 2024 restreint l’activité des banques étrangères non européennes opérant dans l’Espace économique européen. Cela signifie que les filiales marocaines pourraient voir leurs marges de manœuvre se réduire.
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Pour Rabat, le risque est clair : si ces établissements sont limités dans leurs opérations, une partie des flux financiers pourrait être freinée, voire détournée vers des circuits plus coûteux pour les familles bénéficiaires.
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Pourquoi le Maroc est plus concerné que d’autres pays africains
Si le Maroc réagit avec autant de vigueur, c’est parce que son modèle diffère de celui de la majorité des pays africains. Le Nigeria, premier pays récipiendaire du continent, reçoit environ 20 milliards de dollars par an, mais les flux passent surtout par des opérateurs internationaux comme Western Union ou par des fintech locales, relativement moins exposés aux règles bancaires de l’UE. L’Égypte, autre poids lourd des transferts, dépend davantage des envois depuis le Golfe que depuis l’Europe.
Le Maroc, en revanche, a volontairement confié une partie de ce rôle vital à ses banques nationales installées en Europe. Ce choix stratégique, qui permettait de mieux contrôler les flux et de fidéliser la diaspora, le rend aujourd’hui vulnérable à une réglementation européenne qui ne visait pas spécifiquement le pays.
La riposte de Rabat
Face à la perspective d’une application au 1er janvier 2026, le gouvernement marocain a réagi sans attendre. Une task force permanente a été créée pour suivre le dossier et anticiper les conséquences. Les autorités financières négocient déjà avec la Commission européenne et plusieurs États membres afin de trouver des solutions.
Parmi les pistes envisagées figurent la digitalisation accrue des services financiers, le recours à des plateformes de paiement alternatives et le renforcement de la bi-bancarisation, permettant aux Marocains établis en Europe de disposer d’un compte à la fois dans leur pays d’accueil et au Maroc. Rabat veut également préserver la compétitivité de ses banques face aux géants internationaux du transfert d’argent.
Un enjeu social et politique majeur
Au-delà des chiffres, cette question touche à un lien intime : celui de la diaspora avec ses familles restées au pays. Pour de nombreux MRE, envoyer de l’argent est autant un geste de solidarité qu’une nécessité vitale pour leurs proches. Toute complication ou hausse des coûts pourrait fragiliser ce lien.
Politiquement, le Maroc considère aussi ces transferts comme une expression de l’attachement de sa diaspora, essentielle à la stabilité économique et sociale. C’est pourquoi ce dossier dépasse la simple dimension bancaire pour devenir un enjeu de souveraineté financière.
Les prochains mois diront si Rabat parvient à obtenir des aménagements auprès de l’Union européenne ou à déployer rapidement des alternatives. Une certitude demeure : pour le Maroc, les transferts de sa diaspora ne sont pas un flux ordinaire, mais un pilier stratégique qu’il entend défendre.



