Pendant des décennies, le blé français a trouvé deux débouchés majeurs : l’Algérie et la Chine. Pour Alger, ce commerce relevait autant de la proximité géographique que d’une relation historique nourrie depuis les années 1960. La France a longtemps été perçue comme le fournisseur naturel de céréales pour l’autre rive de la Méditerranée. Pékin, de son côté, s’est imposée plus tard comme un client stratégique, attirée par la qualité du blé français et soucieuse de diversifier ses importations pour sécuriser son approvisionnement. Ces deux marchés sont devenus, chacun à leur manière, des piliers des exportations françaises, donnant au secteur céréalier un rôle qui dépasse la seule dimension agricole.
Des relations fragilisées avec Alger
Ces dernières années, l’Algérie s’est détournée du blé français au profit de la Russie. L’effondrement des volumes est spectaculaire : alors que la France livrait encore entre cinq et six millions de tonnes de blé tendre à Alger, les ventes se sont taries jusqu’à disparaître presque totalement en 2024-2025. La rupture diplomatique consécutive à la reconnaissance par Paris de la « marocanité » du Sahara occidental a pesé lourdement. Cette décision a déclenché une série de tensions, allant du rappel d’ambassadeurs à la réduction de la coopération économique. Résultat : la Russie, en position de force sur les marchés mondiaux, a su combler ce vide et capter près de 40 % des importations algériennes en 2023-2024. Pour les exportateurs français, la perte est considérable, tant en termes de volumes que de stabilité commerciale.
Cette fragilité illustre le risque d’une trop forte dépendance à un partenaire unique. Lorsque la diplomatie se tend, les céréaliers paient directement la facture. L’exemple algérien sert d’avertissement : les liens historiques, même solidement établis, ne garantissent pas la continuité des échanges.
Pékin et Moscou : un tandem qui pèse sur le marché mondial
La Chine occupe une place bien différente mais tout aussi déterminante. Elle absorbe une part importante du blé français, mais son comportement d’acheteur reste imprévisible, avec des volumes qui varient selon ses propres récoltes et ses priorités stratégiques. Pékin s’appuie par ailleurs sur une alliance renforcée avec Moscou depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. La Russie, devenue premier exportateur mondial de blé, propose des prix compétitifs et a consolidé sa présence auprès de plusieurs partenaires du Sud, ce qui redéfinit les équilibres commerciaux.
Pour la France, l’équation est complexe : conserver un accès au marché chinois suppose d’accepter cette dépendance à un client géant, tout en affrontant la concurrence directe d’un allié de ce même pays. C’est un peu comme livrer son produit phare à un acheteur qui, par ailleurs, soutient activement son concurrent le plus agressif. Cette ambiguïté place la filière française dans une position délicate, partagée entre opportunité et vulnérabilité.
Un équilibre incertain
L’Algérie et la Chine représentent deux visages d’un même défi : comment maintenir des débouchés sûrs sans être prisonnier des aléas diplomatiques ou des fluctuations d’un marché mondial dominé par la Russie. Le redressement de la production française en 2025 offre certes une perspective encourageante après une année catastrophique, mais il soulève une interrogation cruciale : exporter davantage, oui, mais vers qui et à quelles conditions ? La réponse ne dépend pas seulement des champs de blé, mais aussi des relations internationales et de la capacité à diversifier les partenaires commerciaux. La question de l’autonomie stratégique du blé français reste donc entière.


