L’émission d’un Sukuk record par la Société de Gestion du Patrimoine Bâti de l’État (SOGEPA) devait incarner une réussite de la finance islamique au Sénégal. Mais sur les 330 milliards levés en 2022, plus de 114 milliards demeurent introuvables dans les circuits budgétaires classiques. L’affaire est désormais au cœur d’enquêtes judiciaires et bancaires, avec des implications politiques et économiques majeures.
Un dispositif innovant qui a dérapé
La SOGEPA, entreprise publique, avait émis en 2022 un Sukuk islamique inédit de 330 milliards de FCFA, adossé à dix immeubles de l’État situés à Dakar. L’opération reposait sur un schéma classique : transfert temporaire de propriété, location à l’État et remboursement des investisseurs grâce aux loyers versés. Ce mécanisme devait financer la relance économique et diversifier les sources de financement public.
Cependant, l’utilisation des fonds a soulevé de vives interrogations. Sur les 330 milliards mobilisés, environ 247 milliards ont transité par la Banque Islamique du Sénégal (BIS) via un compte intitulé « Relance de l’économie ». Seuls 133 milliards ont été versés au Trésor public. Les 114,4 milliards restants auraient été utilisés pour des dépenses parallèles, hors du circuit budgétaire, via des comptes non autorisés aux intitulés variés (« CRHC Ageroute », « Ansa Realty », « Reprofilage ») selon Libération. Cette pratique constitue une entorse aux règles de transparence financière.
Des banques et responsables sous enquête
Face à ces révélations, la Division des investigations criminelles (DIC) a convoqué plusieurs dirigeants de banques commerciales pour éclaircir le rôle de leurs établissements. Ont été entendus des responsables de la BSIC, de la BRM, de Bridge Bank, de NSIA, d’Ecobank, de la BDK, de la BOA, de la Banque Atlantique, du Crédit du Sénégal, de FBN Bank et de la Société Générale. L’objectif est de déterminer si ces institutions ont facilité ou couvert des flux financiers en marge des procédures budgétaires.
Le dossier n’est pas nouveau. Le rapport 2022 de la Cour des comptes, publié début 2024, avait déjà pointé des anomalies dans l’émission du Sukuk Sogepa. Il dénonçait l’utilisation opaque de fonds publics et l’existence de circuits financiers parallèles. Cette première alerte institutionnelle avait déjà suscité des appels à plus de transparence dans la gestion de la dette et des instruments financiers innovants.
L’affaire dépasse la seule question technique : elle engage la crédibilité du Sénégal sur les marchés financiers internationaux. Le Sukuk devait démontrer la capacité du pays à utiliser la finance islamique comme levier de développement. Mais l’opacité des dépenses constatées pourrait fragiliser la confiance des investisseurs.
Des enjeux de souveraineté et de gouvernance
Au-delà de la SOGEPA et de la BIS, c’est tout l’appareil de gestion publique qui est concerné : ministère des Finances, Trésor, régulateurs et partenaires bancaires. Plusieurs observateurs estiment que le pays doit renforcer ses mécanismes de contrôle et rendre publics les audits liés à ce type d’opérations. Certains plaident aussi pour un encadrement législatif plus strict de l’émission de titres islamiques.
Le scandale du Sukuk Sogepa, présenté au départ comme une vitrine d’innovation, illustre aujourd’hui les risques d’une gouvernance insuffisamment encadrée. La justice et les organes de contrôle sont attendus pour clarifier les responsabilités et redonner confiance aux partenaires financiers.



