(Vers un tournant à Hollywood?)Depuis plusieurs années, l’intelligence artificielle n’est plus seulement un outil d’automatisation ou de recherche : elle façonne de nouvelles figures publiques. L’apparition d’avatars virtuels comme Lil Miquela, devenue une « influenceuse » suivie par des millions de personnes sur Instagram, ou de mannequins numériques tels que Shudu Gram a démontré que le public pouvait s’attacher à des personnages qui n’ont jamais existé. Ces créations ont ouvert la voie à une nouvelle ère où la frontière entre fiction et réalité se brouille. Désormais, ce phénomène quitte le terrain de la mode et des réseaux sociaux pour s’aventurer sur les plateaux de cinéma, comme le montre l’exemple de Tilly Norwood.
Une carrière lancée sans passer par le casting traditionnel
Tilly Norwood n’a jamais franchi le seuil d’une école de théâtre ni répété devant une caméra. Normal : cette actrice est le fruit d’un algorithme. Conçue par le studio Xicoia et portée par la société de production Particle6, elle a déjà obtenu un premier rôle dans un long-métrage au titre évocateur, AI Commissioner rapporte Hollywood Reporter. Ce film, généré de bout en bout par des modèles d’apprentissage automatique, imagine un futur où les scénarios s’écrivent d’eux-mêmes et où les comédiens sont remplacés par des entités synthétiques.
Pour Eline Van der Velden, actrice et productrice associée à ce projet, il ne s’agit pas seulement d’un coup médiatique. Elle insiste sur le fait que la curiosité des agences de talents est bien réelle : certaines envisagent désormais de représenter cette figure virtuelle comme elles le feraient pour n’importe quelle actrice de chair et d’os.
De l’incrédulité à l’intérêt commercial
Quelques mois plus tôt, les professionnels d’Hollywood auraient accueilli ce projet avec scepticisme. Les réunions se concluaient par des sourires ironiques, comme si l’idée n’était qu’une lubie passagère. Pourtant, le ton a changé rapidement : de la dérision initiale, on est passé à la recherche active de collaborations. Ce basculement rappelle l’histoire de technologies naguère sous-estimées, avant qu’elles ne bouleversent un secteur entier, comme l’arrivée du cinéma parlant ou des effets spéciaux numériques.
Aujourd’hui, la trajectoire de Tilly Norwood pourrait susciter des nombreuses réflexions légitimes : faut-il l’intégrer dans des productions à grande échelle, comment gérer ses droits d’image, et quelle place accorder à des acteurs qui ne peuvent ni improviser ni vieillir ?
Plus qu’une curiosité technologique
L’existence d’une actrice virtuelle signée par des agences bouleverse la définition même de la célébrité. On peut imaginer demain des vedettes sans scandales, toujours disponibles, modelées au gré des besoins des studios. Cela soulève à la fois un attrait économique — réduction des coûts, disponibilité illimitée — et une inquiétude profonde : quelle valeur restera-t-il au talent humain si les performances peuvent être simulées avec la même intensité qu’un visage réel ?
En donnant vie à Tilly Norwood, Xicoia et Particle6 testent les limites de notre rapport à la fiction. L’actrice qui n’existe pas pourrait bien inaugurer un tournant majeur : celui où la concurrence pour un rôle ne se joue plus seulement entre humains, mais aussi contre des créations numériques capables d’occuper le devant de la scène.



