Armement : la fin de la domination occidentale ? La France séduite par un dispositif indien

Pendant des décennies, les puissances occidentales ont dicté les standards de l’industrie de défense. Des missiles américains Patriot aux chars allemands Leopard, l’innovation et la supériorité technologique venaient presque toujours d’Europe ou des États-Unis. Ce modèle, longtemps incontesté, semble toutefois s’effriter. L’émergence d’acteurs asiatiques, portés par une production rapide, des coûts moindres et une efficacité éprouvée sur le terrain, rebat progressivement les cartes. Dans ce nouvel échiquier stratégique, l’Inde ne se contente plus d’être un marché : elle devient une source d’inspiration, voire un partenaire convoité.

La France regarde vers l’Est

Le récent déplacement du général Pierre Schill en Inde, à l’occasion d’une conférence onusienne, a révélé une évolution de posture inattendue. Le chef d’état-major de l’armée de Terre a confirmé que la France étudiait de près le Pinaka, un lance-roquettes multiple développé par l’Inde et déjà opérationnel au sein de l’Indian Army rapporte The Economic Times. Conçu pour la frappe terrestre de longue portée, ce système offre une alternative crédible face à la lenteur du programme français FLP-T (Frappe longue portée terrestre). Pour le général Schill, l’intérêt réside moins dans la technologie pure que dans la preuve de son efficacité opérationnelle : un matériel testé, adaptable et rapidement déployable, plutôt qu’un concept encore à l’état de prototype.

Ce n’est pas la première fois que le Pinaka attire l’attention de Paris. Déjà fin 2024, le général Stéphane Richou admettait que l’armée française procédait à son évaluation. Quelques mois plus tard, lors du salon Aero India 2025, des échanges avancés entre la DRDO (Defence Research and Development Organisation) et des responsables français avaient confirmé l’existence de pourparlers techniques. Si aucun accord n’a encore été signé, la piste demeure sérieusement envisagée, d’autant que le calendrier national s’annonce serré : la sélection du système FLP-T n’interviendra qu’en 2026, pour une mise en service visée autour de 2030.

Entre ambitions souveraines et contraintes industrielles

Cette ouverture vers un matériel non occidental traduit une réalité difficile : les capacités françaises peinent à suivre la montée des exigences stratégiques. Les anciens lance-roquettes unitaires (LRU), prolongés au-delà de leur durée de vie prévue, posent désormais de lourds défis de maintenance. Le soutien industriel américain ayant cessé, les ateliers de l’armée de Terre doivent parfois improviser avec des pièces refabriquées ou sans documentation complète. L’exemple de la 13ᵉ base de soutien du matériel de Tulle illustre bien cette débrouillardise héroïque, où plusieurs centaines d’heures ont été nécessaires pour restaurer un unique composant critique.

Pendant ce temps, l’industrie nationale tente de rattraper le retard. Safran propose une adaptation sol-sol de sa bombe A2SM/HAMMER, déjà éprouvée dans l’aviation, tandis que MBDA, Thales et ArianeGroup planchent sur leurs propres solutions. La Direction générale de l’armement a prévu un budget de 600 millions d’euros pour doter l’armée de 26 systèmes d’ici 2035. Mais les chiffres font réfléchir : à l’horizon 2030, la France ne disposerait que de 300 roquettes souveraines, quand l’Ukraine en tire plus de 500 par an dans son conflit contre la Russie. Cette disproportion pousse logiquement les décideurs à explorer un « mix » de solutions, combinant prolongation des LRU, transition par des roquettes étrangères et développement national à long terme.

Une symbolique qui dépasse la technique

L’intérêt français pour le Pinaka ne traduit pas seulement un besoin ponctuel : il marque un changement d’équilibre dans les rapports de force technologiques. Voir un pays européen se tourner vers une innovation indienne – et non américaine ou israélienne – aurait paru impensable il y a vingt ans. Ce renversement, encore discret, suggère que la supériorité occidentale dans l’armement n’est plus une évidence, mais un héritage désormais disputé. L’Inde, en proposant un matériel robuste, économique et adaptable, s’affirme comme un fournisseur d’influence dans un monde où la rapidité d’exécution compte souvent plus que la perfection technologique.

Si la France venait à franchir le pas, elle enverrait un message clair : l’efficacité prime sur l’origine, et la coopération Sud-Nord devient un levier stratégique aussi bien qu’industriel. Plus qu’un simple choix d’équipement, ce serait le signe d’une ère nouvelle, où la guerre de demain se préparera peut-être avec les armes conçues hier… mais ailleurs.

1 réflexion au sujet de « Armement : la fin de la domination occidentale ? La France séduite par un dispositif indien »

  1. Au Bénin, nous avons le vodou … et puis si ça chauffe, on appelle les français au secours. La responsabilité, ce n’est pas notre truc.

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