Longtemps considéré comme le poumon énergétique de l’Europe, le gaz russe a façonné l’équilibre économique du continent pendant des décennies. Avant 2022, plus de 40 % des besoins européens en gaz provenaient directement des pipelines de Moscou, alimentant aussi bien les usines allemandes que les foyers français. Lorsque la guerre en Ukraine éclata, Bruxelles fit le pari audacieux de se sevrer du gaz russe, misant sur la diversification et les énergies renouvelables.
L’effet boomerang du gaz liquéfié
Malgré les sanctions et la fermeture des gazoducs, la Russie n’a pas perdu la main. Selon une étude publiée par Greenpeace, les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) russe vers l’Europe ont généré près de 8,1 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2022 et 2024. Ce chiffre illustre un paradoxe : alors que l’Europe tentait de couper le cordon énergétique, ses entreprises ont continué à acheter du gaz russe sous une autre forme, celle du GNL.
Loin de s’effondrer, les livraisons ont même bondi. Durant le premier semestre 2024, les importations européennes de GNL russe ont atteint 12,8 milliards de mètres cubes, soit 67 % de plus qu’il y a quatre ans. L’entreprise Yamal LNG, fer de lance du secteur, a engrangé à elle seule 9,5 milliards de dollars de recettes fiscales sur la période. L’information a été révélée par Euronews En additionnant ses revenus, les analystes estiment que la société a généré près de 40 milliards de dollars grâce à ses contrats avec les géants européens de l’énergie.
Cette dépendance silencieuse s’explique par une réalité économique incontournable : le gaz russe reste compétitif et disponible. En optant pour le GNL, les entreprises européennes ont remplacé la dépendance aux gazoducs par une dépendance plus discrète, mais tout aussi tenace.
Les chiffres de Greenpeace soulignent également la solidité des liens contractuels entre les deux rives. Des pays comme l‘Allemagne, la France, l’Espagne, figurent parmi les principaux clients du GNL russe. Pour Moscou, cette situation représente une victoire stratégique inattendue. Privée de ses pipelines vers l’Ouest, la Russie a su transformer son industrie du gaz en acteur global, capable de contourner les sanctions tout en profitant des failles réglementaires européennes. Les terminaux de GNL européens, censés diversifier les sources d’approvisionnement, servent paradoxalement de passerelles pour le gaz russe.
Une résilience qui rebat les cartes
Ce maintien des exportations témoigne d’une résilience économique que peu d’observateurs avaient anticipée. Les sanctions n’ont pas tari les flux financiers issus de l’énergie, et la Russie continue de financer son budget grâce à ses ventes de gaz. Pour l’Europe, l’enjeu devient moral autant qu’économique : comment revendiquer une rupture avec Moscou tout en demeurant l’un de ses principaux clients énergétiques ?
À mesure que les hivers approchent et que la demande énergétique repart à la hausse, la question du GNL russe pourrait redevenir un sujet explosif dans les capitales européennes. Le gaz, jadis instrument d’union économique, est devenu un miroir des contradictions d’un continent partagé entre principes politiques et réalités énergétiques.
Trois ans après le début du conflit, la Russie reste un fournisseur incontournable de gaz pour l’Europe, non plus par les pipelines, mais par les navires méthaniers. En voulant tourner la page du gaz russe, l’Union européenne a réécrit l’histoire sans en changer le fond. Les flux ont simplement changé de forme. Derrière les chiffres, une vérité demeure : la transition énergétique européenne reste tributaire d’un ancien partenaire qu’elle voulait pourtant tenir à distance.



