Passer du contrôle citoyen à la participation citoyenne
Le contrôle citoyen consiste, pour les citoyens, les communautés, les organisations de la société civile et les médias indépendants à intervenir a posteriori aux fins d’influencer les décideurs tandis que la participation citoyenne procède de leur constante implication dans les délibérations, les choix politiques, l’élaboration des politiques, leur mise en œuvre et leur suivi. La participation citoyenne n’est pas un concept nouveau, mais une autre dimension du contrôle citoyen de l’action publique. Ce dernier, défini comme un ensemble de mesures et de mécanismes auxquels les citoyens, les communautés, les organisations de la société civile et les médias indépendants peuvent recourir pour influencer les tenants du pouvoir dans leurs actions, est fondé sur une démarche d’intervention citoyenne a posteriori de l’action publique, c’est-à-dire axé sur le contrôle. La participation citoyenne, elle, reste dans une dynamique constante d’implication du citoyen ou de groupes de citoyens dans les délibérations, l’élaboration des choix politiques et de politiques, leur mise en œuvre et leur suivi. Elle permet d’éviter les risques d’apathie des citoyens face à la gestion des affaires publiques et de prévenir leur opposition active au moment de la mise en œuvre des choix par les gestionnaires de l’administration publique. L’opposition active et la formulation de propositions alternatives sont des moyens privilégiés pour le contrôle citoyen de l’action publique. Le contrôle citoyen met l’administration et les groupes organisés de citoyens face-à-face dans une attitude de l’une agit et les autres réagissent. La participation citoyenne préconise une fusion des deux acteurs qui travaillent ensemble. Les citoyens et les organisations civiles ne sont plus juges de l’administration mais partie prenante de la définition des politiques et de leur mise en œuvre.
L’intérêt du concept de participation citoyenne réside dans le fait qu’il préconise que les citoyens aient la possibilité de donner leurs avis sur les actions entreprises au moment même de leur mise en œuvre. Est-il possible pour une administration publique de remplir sa mission qui est de réduire les souffrances économiques, sociales et psychologiques de ceux qui sont à l’intérieur ou à l’extérieur de ces structures et d’améliorer leurs chances dans la vie, si elle continue de gérer les programmes sur la base de critères uniquement techniques là où des considérations humaines auraient été plus appropriées ? La participation citoyenne permet d’introduire cette dimension humaine dans la gestion des affaires publiques par l’expression des aspirations, des besoins, des craintes et des appréhensions des citoyens avant la mise en œuvre des politiques. Une participation citoyenne réussie permettrait d’éviter, par exemple, un marché construit et jamais fréquenté par les populations parce que installés sur un ancien cimetière.
En outre, la participation citoyenne a le bénéfice de favoriser et de renforcer la démocratie en instaurant un cadre de gouvernance concertée. En effet, la participation citoyenne change le sens des rapports d’autorité entre administration publique et citoyen par une redéfinition du rôle de l’administrateur public, comme l’illustre cette déclaration de Cooper (1984, P. 143) : « les obligations éthiques de l’administrateur public doivent découler des obligations qui sont celles du citoyen dans une communauté politique démocratique. Au nombre de ces obligations figure la responsabilité d’instaurer et de maintenir avec ses concitoyens des rapports d’autorité horizontaux où le pouvoir exercé ‘’sur’’ les habitants cède le pas au pouvoir ‘’partagé’’ avec ces derniers ». Les rapports horizontaux entre l’administration et les citoyens lui permettent de disposer de meilleures informations sur les besoins du public en matière de services ; il s’ensuit des décisions et des choix plus efficaces, un public satisfait et solidaire et surtout une démocratie renforcée.
La décentralisation : moteur de la participation citoyenne Au regard de ces avantages substantiels qui se dégagent de la mise en œuvre d’une politique de participation citoyenne, il est évident que toute administration publique qui se met véritablement au service des populations doit adopter ses mécanismes et modalités de mise en œuvre. Le Bénin offre un cadre propice pour une politique de participation citoyenne : la décentralisation. La loi n°97-029 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin dispose en son article 2 que la commune « est le lieu privilégié de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques locales ». Depuis l’année 2003, date de l’installation des premiers conseils communaux, aucune politique d’incitation à la participation citoyenne n’a été menée malgré l’existence de ce cadre juridique et institutionnel. Pourtant, la mise en œuvre d’une politique de participation citoyenne ne nécessite aucun moyen ; elle a juste besoin d’une volonté politique d’instauration d’un gouvernement ouvert et participatif. Elle ne nécessite que la mise en place de cadres de débats publics de diverses envergures allant de conversations informelles aux réunions (audiences) publiques en passant par des rencontres avec des comités consultatifs, des associations, des groupements, des ONG, etc. Il existe depuis le début de cette année 2009 une initiative d’impulsion de la participation citoyenne au Bénin. Elle est développée par l’ONG ALCRER avec l’appui financier du Royaume des Pays-Bas. Il s’agit du « projet d’appui à la mise en place du mécanisme de participation citoyenne pour l’amélioration de la gouvernance locale ». Ce projet couvre les vingt communes des trois départements de l’Atlantique, du Mono et du Couffo. Je me permets de reprendre ici les propos de Martin ASSOGBA, président de cette ONG, tenus à la cérémonie de lancement du projet en janvier dernier ; il démontrait la pertinence de la participation citoyenne en ces termes :
« L’implication des citoyens et la participation citoyenne permettent d’ancrer l’action publique dans le corps social au lieu de la lui imposer. A partir de là se créent les conditions du développement, notamment la paix, la cohésion sociale et la possibilité d’obtenir l’adhésion des populations sur les choix politiques et les choix de politiques répondant aux aspirations du plus grand nombre. La participation des citoyens à l’action publique (…) se trouve être aujourd’hui la clé de voûte de l’édifice « pays émergent » que le Bénin se propose de devenir. Si nous sommes convaincus que le développement ne se fera pas sans la bonne gouvernance, nous devons nous convaincre aussi que cette dernière passe par la mobilisation et l’implication des populations dans la gestion des affaires publiques, c’est-à-dire par la participation citoyenne. »
L’initiative, même si elle est localisée, demeure la seule démarche structurée qui existe au Bénin aujourd’hui et qui vise une mobilisation et une implication des populations dans la gestion des affaires publiques au niveau local. Du fait d’être la seule initiative en cours, le projet d’ALCRER mérite d’être suivi et soutenu pour deux raisons : l’échec de ce projet bloquera toute autre initiative de participation citoyenne et l’appropriation à l’échelle nationale de la dynamique de la participation citoyenne ; sa réussite permettra de disposer d’outils de gestion et d’une méthodologie éprouvée de mise en œuvre de la participation citoyenne pour une implémentation à l’échelle nationale.
Koami GOUTON, Expert en communication publique et en gouvernance locale