Stéphane Hessel, Hugo CHAVEZ et NOUS

La communauté catholique, mais aussi une certaine chapelle diplomatique, salue l’avènement d’unsouverain pontifeoriginaire, pour la première fois, d’un pays du Sud (abstraction faite, tout de même, de sa fraîche ascendance italienne)…

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En attendant l’étape mythique de l’Obama-papabile dont s’éprend à répétition le monde noir, un peu selon la méthode Coué, aux dires mêmes de vénérables ecclésiastiques tel l’archevêque de Dakar,le rêve d’un pape africain relève toujours des calendes grecques.

L’élection du prélat de Buenos Aires, le cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio, désormais pape François 1er, ce croisé de la justice, dit-on, ami des pauvres et apôtre de la charité, arrive comme pour consoler les cohortes mondiales des sans-grade et des sans-voix doublement endeuillés ces dernières semaines.

En effet, la résistance altermondialiste et anti néo-libérale vient de subir sur la planète entière l’onde de choc de deux disparitions majeures : coup sur coup, le 27 février pour Stephan Hessel, écrivain, diplomate, résistant, pacifiste, ardent humaniste, altermondialiste acharné,… et le 5 mars pour Hugo Chavez, homme d’Etat, défenseur des faibles, illustre réformateur, tiers-mondiste convaincu, pourfendeur de la servitude,… À moins d’une semaine d’intervalle, comme si le destin voulait ainsi rapprocher et même jumeler deux combats pour la même cause contre l’oppression etl’iniquité, pour la justice, la paix et la liberté.

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Tandis qu’à Paris un hommage national est rendu à Stephan Hessel aux Invalides et qu’une franche opinion appelle spontanément à sacraliser au Panthéon l’auteur du manifeste ‘’Indignez-vous’’, les autorités de Caracas, quant à elles, décident tout simplement d’immortaliser Le Commandante Hugo Chavez en le momifiant, au grand réconfort de foules en détresse, inconsolables orphelines de leurbolivarien Sauveur.

Cette double consécration aura mis du baume au cœur à bien des majorités à travers le monde. Il n’y a donc nulle outrance à ignorer les inévitables  aigreurs qu’elle a suscitées ici et là, autant chez les adversaires de la pensée et de l’apostolat de Hesselque chez les diverses ligues opposées à la révolution politique et sociale du chavisme.

Elle prête en effet à sourire, l’humeur de certains lobbies qui caricaturent Stephan Hessel comme un antisémite primaire et impénitent. Car, Juif lui-même, résistant et (multirécidiviste) rescapé de l’holocauste, ce militant des droits humains  rejette tout juste l’inacceptable — sans plus ! — estimant que la conscience sioniste, précisément marquée par la Shoah, devrait mieux que tout autre comprendre la souffrance et revendiquer l’humain. Parce que la mémoire de la barbarie impose justement aux Juifs de ne pas infliger celle-ci à d’autres entités humaines, le gouvernement d’Israël doit respecter le droit élémentaire des Palestiniens à un espace vital et légal, à la vie, à la liberté, martèle le miraculé des camps d’extermination nommé Hessel.

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 La polémique verse dans l’ineptie en déniant la qualité d’écrivain et d’intellectuel à un penseur dont le rayonnement philosophique et littéraire, l’influence diplomatique universelle — au sein des Nations unies mais aussi sur le terrain, pour les droits de l’homme et l’émancipation des peuples – font école, toujours vivaces depuis tant de décennies ! En tous cas les Africains ont, eux aussi, beaucoup reçu de cet infatigable missionnaire aussi bien auprès des ONG que des Etats et des communautés locales. Et l’on ne peut soupçonner d’incohérence l’ancien résistant au nazisme faisant cet emprunt à Franklin Roosevelt : Le président Roosevelt, écrit Stephan Hessel, n’a jamais caché ses sentiments anticolonialistes, affirmant avec insistance « qu’on ne pouvait pas lutter contre la servitude fasciste et en même temps ne pas libérer sur toute la surface du globe les peuples soumis à une politique coloniale rétrograde ».

Nous sommes donc parfaitement fondés, au nom de l’Afrique des profondeurs, et même de l’Afrique des sommets – dont aucun invité ni envoyé, à ma connaissance, ne figura à cette cérémonie –à adresser àun illustre allié et ami français, diplomate hors norme absolument étranger à la sacro-sainte langue de bois, notre entière reconnaissance : À toi, Stephan, honneur et gloire !

J’avoue mon ignorance quant à la représentation de notre continent aux obsèques d’Hugo Chavez. Je puis cependant affirmer ne l’avoir pas particulièrement remarquée, mais je me corrigerais volontiers.

L’absence, déguisée en sous- représentation, de l’Occident officiel, est, quant à elle, clairement affichée, voire proclamée. J’aurais tant souhaité, hélas ! n’y voir la moindre relation de cause à effet avec la défection africaine. Pour deux raisons, essentielles, imparables :

1 L’Afrique est par excellence la terre du culte des défunts. Inégalable en la matière, me direz-vous. Notre continent sait mieux que tout autre honorer ses morts. Pourquoi pas, alors, un ami de la stature d’un Hugo Chavez, qui s’est montré si fraternel et si activement solidaire de nos luttes pour plus de liberté et de mieux-être, avec cette atavique ardeur des ‘’Non Alignés’’ de Bandung et cette inébranlable volonté  de coopération Sud-Sud, enfin l’ami  que nombre de nos pays ont chaleureusement accueillichez eux il n’y a pas longtemps ?

2. En Afrique comme en Occident, l’opinion instruite, les média (télévision d’Etat y compris, France 2, France 24), la classe politique et pas seulement Jean-Luc Mélenchon, ont unanimement salué la popularité de Chavez liée à son bilan incontestable en faveur des plus démunis et pour le progrès global de son pays. Il n’en fallait pas tant : en 10 ans seulement, de 1999 à 2009, réduction de la pauvreté de 50%, baisse du taux de chômage de 19% à 8%, baisse du taux de mortalité infantile de 35%, scolarisation avoisinant les 100% avec trois repas par jour pour les enfants, 300 000 hectares de terres redistribués aux petits paysans avec un appui technique et financier, des dizaines de milliers de familles décemment relogées,  enfin l’octroi de la légendairesécurité sanitaire universelle… Véritables travaux d’Hercule en si peu de temps. Avec l’argent du pétrole…nationalisé, oui, mais précisément un spot publicitaire bien connu nous dit ‘’ça fait du bien là où ça fait mal’’ (merci Aspro). Mais mal à qui ?…Telle est la question.

La liste des indicateurs est loin d’être épuisée, et elle n’émane pas de la propagande gouvernementale vénézuélienne, mais bien d’observatoires scientifiques occidentaux, évidemment peu suspects de sympathies pro-chavistes.

Même si le tempérament expansif du personnage alimente parfois quelque humour malveillant, nul  doute n’est de mise quant à son charisme et à sa sincérité. Les critiques les plus sérieuses (populisme, autocratie, atteintes aux libertés) dont le Commandante fait l’objet ne manquent pas de fondement. Mais elles renvoient d’emblée  aux irréductibles clivageset partispris idéologiques,  diplomatiques  et/ou  économiques. Le mouvement récurrent des indignés en Occident montre bien que l’oppression n’a pas de camp et que les politiques néo-libérales sont loin de libérer la multitude.‘’Pour connaître la vérité, ironise Fidel Castro, il suffit de regarder quels et combien sont ceux qui pleurent cette mort, et ceux qui s’en réjouissent’’. Les reportages sont unanimes à cet égard. Une forte majorité de Vénézuéliens se reconnaît en Hugo Chavez, ayant désormais, grâce à lui, une plus grande participation à la vie publique et au bien-être collectif. Jean Pliya écrivait à propos de son héros Kondo le requin : ‘’Incarner la cause du peuple est la plus grande gloire d’un chef’’.

Les rapports les plus autorisés —  qu’il s’agisse d’enquêtes de l’Unesco, d’officines privées de renom aussi fiables que Gallup ou d’ONG indépendantes — établissent sans appel que ‘’le Venezuela est devenu non seulement le pays le plus égalitaire [de l’Amérique latine], mais aussi celui où les citoyens croient le plus dans la démocratie’’. Les analystes et politologues les plus sourcilleux se rangent à cet constat ô combien contraignant pour le magistère de la pensée unique néo-libérale. L’ancien chef de l’Etat brésilien, Ignacio Lula, l’autre grand ami transatlantique, affirme sans nuance que ‘’Hugo Chavez est le président le plus légitime d’Amérique latine’’.

Nous savons que cette légitimité passe les frontières du Venezuela car Chavez s’est toujours engagé pour les causes justes en Amérique latine et partout dans le monde. La parfaite unité  des gouvernants sud-américains (et pas les seuls amis de gauche comme le Brésil, Cuba et la Bolivie, mais également les moins politiquement proches comme l’Argentine, l’Equateur, la Colombie) autour du cercueil de Chavez en est un témoignage éloquent et, convenons-en, émouvant.Salut à toi, Commandante !

Le chavisme se prévaut surtout, à juste titre,  d’une légitimité historique fondée sur la Révolution bolivarienne, du nom de ce grand libérateur, Simon Bolivar (1783-1830), qui exerça une influence décisive sur la vie politique et économique du sous-continent et enracina l’esprit démocratique dans plusieurs Etats de l’Amérique latine dont le Pérou, la Bolivie, l’Equateur et le Venezuela. On admet que, historiquement, le gouvernement de Bolivar fut le premier à user du terme de ‘’sécurité sociale’’.Mais savions-nous que bien avant, dès le début du XVIe siècle en 1533, les premières révoltes d’esclaves en Amérique ont éclaté au Venezuela ? Cette nation a toujours su, selon le mot de Jérôme Carlos, qu’ « il n’y a pas de peuple-esclave, il n n’y a que des chaînes brisées, épaves inutiles, sur le chemin sans fin de la lutte des peuples pour la liberté ».Nous voyons bien en quoi Chavez et Bolivar nous touchent de si près.

Quelle que soit l’issue des prochaines élections, plus rien ne sera au Venezuela comme avant Chavez

Le Venezuela de Chavez, nous l’avons vu, recueille partout sur le globe l’opinion favorable tant des officines que de l’immense majorité des gouvernés, y compris de l’hémisphère Nord, n’en déplaise aux hégémonies de l’heure. Aucune de celles-ci ne saurait nous dicter, ni même nous inspirer, quelque attitude face à la mémoire des nôtres, Chavez…ou cet autre nommé Khaddafi, si honteusement renié par ses ‘’amis-frères’’ de toujours. Et l’on retrouve Honoré de Balzac, lapidaire : ‘’Il y a des ingratitudes forcées’’. Mais cela est une autre histoire.

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La République bolivarienne du Venezuela, ce pays auquel l’estimé réformateur Chavez a rendu sa dignité, son identité historique de terre d’avenir, partage, de surcroît, une communauté de destin avec l’Afrique. Soyons-en fiers, comme nous le sommes du Ghana de J. J. Rawlings, monarque éclairé s’il en fut, lui aussi unanimement reconnu par la communauté internationale : en deux décennies, l’héritier de N’Krumah éradiqua le cancer de la corruption et redonna à la patrie du fondateur, ‘’l’Osagyefo’’, son lustre d’antan, politique, économique et culturel.

Le Bolivar de Rawlings, Kwame N’Krumah, voulait une Afrique quadrillée d’autoroutes (le spécimen de 25 km livré il y a soixante ans à la sortie Est d’Accra demeure intact, ouvrage de deux mètres d’épaisseur en béton armé, sans le moindre trou !). Le visionnaire rêvait aussi, avec Lumumba et d’autres bâtisseurs, d’une Afrique puissamment éclairée à l’électricité des barrages pharaoniques de Inga sur le Congo, Akossombo sur la Volta — qui alimentent encore les pays riverains (Inga fournit l’Afrique du Sud !) — et d’autres, à venir, sur le Nil, le Niger, le Zambèze, etc.Nul doute qu’aujourd’hui, nos pères-fondateurs auraient parié sur les centrales géantes d’énergie solaire, éolienne, géothermique…

Au lieu de quoi cinq décennies d’une gouvernance approximative et résolument déficitaire ont fini par asseoir durablement le déficit énergétique, conduisant une bonne partie du continent dans les ténèbres du délestage.

N’y aurait-il pas quelque éclairage sur l’avenir du côté de la République bolivarienne ?

Oui, l’Afrique a bien sa place à Caracas, au Venezuela, en Amérique latine. Comme ailleurs.

La fréquentation des grandes figures nous apprend que progrès rime avec  leadership. Il appartient au chef de toujours projeter le futur le meilleur pour la multitude de ses semblables. Mais les vrais conducteurs d’hommes sont ceux qui insufflent leur rêve au plus grand nombre. Eux seuls induisent les transformations majeures véritables. L’artiste anglais John Lennon le dit si bien : ‘’Un rêve que l’on vit seul n’est qu’un rêve. Un rêve que l’on vit ensemble est une réalité’’.

Cotonou, le 21 mars 2013
Issa KPARA
(Ambassadeur)

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