Le piège des chiffres

Bravo ! La croissance économique du Bénin passe de 3,5 % à 5,4 %. Ne faisons pas la fine bouche, c'est positif. C'est le signe palpable et tangible que les réformes structurelles de l'économie nationale commencent à porter des fruits. 

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Avec un taux de croissance de 3,5 %, nous étions les derniers de classe au sein de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).

Evitons, cependant, de faire des chiffres le bel arbre qui nous cache certaines de nos réalités nationales. La culture des chiffres reste à promouvoir au pays de Gbèhanzin et de Bio Guera. Un concert prévu pour commencer à 20 heures ne démarre effectivement qu'à 1 heure du matin. Cela ne gêne apparemment personne. Tout le monde trouve cela normal. Le budget d'Etat qui, dans son exécution, manque d'ajuster les recettes aux prévisions est à l'image d'un avion qui se programme pour rater son atterrissage. Le pilote a dû se mêler dans ses calculs. La catastrophe !

Qui aime les chiffres devrait aimer la précision, synonyme de rigueur et d'exactitude. Il y a gros à parier que nous, Béninois,  nous n'aimons pas les chiffres. Que de preuves pour le montrer et pour le démontrer.

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Quelle place tient l'Institut national en charge des statistiques dans le développement de notre pays ? En termes de production, de demande et d'offre de statistiques, donc de chiffres, de quelle performance peut-on créditer nos services publics tout comme nos entreprises privées ?

Par ailleurs, nous sommes dans un pays rétif au système métrique. Allez, par exemple, au marché "Ganhi" dans le quartier des affaires à Cotonou. On ne vous vendra ni tomate, ni piment, ni gari au poids, encore moins à une quantité conventionnelle déterminée. Pour échapper à la rigueur des chiffres, on vous proposera, dans l'approximation la plus totale, une quantité estimée et ô combien variable d'une marchandise sans prix préétabli.
Dans un contexte culturel comme celui qui est le nôtre, les chiffres ne sont que relatifs. Pour l'immense majorité de nos compatriotes, ils sont même une fiction. De l'eau sur les plumes d'un canard. Que le Bénin passe de 3,5 % à 5,4 % en termes de croissance économique ne veut strictement rien dire. A moins que cette embellie ne se traduise en un bien être constatable, en un bien vivre perceptible.

De quelle croissance économique parlons-nous, alors que le délestage n'a pas encore tout à fait desserré son étau, continuant de pénaliser, sinon de paralyser nombre de petites et moyennes entreprises ? Qui paiera la note des faillites en cascades du fait de ces délestages sauvages ? Les chiffres, quelque soit ce qu'ils disent, ne suffiront jamais à consoler ceux de nos compatriotes qui ont déjà ainsi tout perdu.

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De quelle croissance économique parlons-nous, alors que l'insécurité continue de faire des siennes ? La peur plane sur la cité, avec des braqueurs sans foi ni loi à la gâchette facile. L'angoisse étreint tous les cœurs et personne ne dort plus du sommeil du juste. L'épée de Damoclès reste ainsi suspendue au-dessus de nos têtes, de jour et de nuit.
De quelle croissance économique parlons-nous, alors que le climat social bruit de chants païens qui n'annoncent rien qui vaille ? Les sinistrés de ICC Services, de guerre lasse, attendent désormais moins leurs fonds que la vérité sur leurs fonds. Les sinistrés permanents des inondations abordent dans l'angoisse les premières pluies d'une saison qui promet. Pour les diplômés sans emploi, aucune aube nouvelle ne s'annonce à l'horizon. Doivent-ils continuer de croire aux promesses de l'hymne national ?

Ces quelques exemples traduisent les limites objectives des  chiffres. Ils font peut-être roter d'aise une minorité d'experts. Mais ils laissent de marbre ceux qui sont et restent les Saints Thomas de la vie. Ils ne croient qu'en ce qu'ils voient, qu'en ce qu'ils touchent, qu'en ce qu'ils sentent. Tout le reste n'est que démangeaison de hauts cadres, si haut placés qu'ils oublient que c'est ici que cela se passe. Au niveau de leur peuple. Avec leur peuple.

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