Au nom de la modernité

Le Bénin est-il un pays moderne ? Réponse forcément difficile à une question qui n’est pas simple. Le moderne pour le sujet Zinsou peut se trouver aux antipodes de ce qu’en pense le sujet Sagbo. Ce que l’église Saint Michel de Cotonou porte de moderne peut être fort éloigné de ce qu’on veut bien tenir pour moderne dans l’architecture du Palais des congrès.

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Et à quelques encablures de là, plus précisément au Palais de la Marina où se trouve la Présidence de la République, la modernité s’invite sous deux faces. Un premier bloc de bâtiments témoigne de la modernité des années 60. Un second bloc de bâtiments porte la modernité des années 90.

C’est là toute la complexité de la notion de moderne. Une notion qui bénéficie chez chacun de nous d’un angle privilégié   de vision et d’approche. On comprend, de ce fait, qu’on ne peut donner du moderne une définition unique, définitive. On comprend également que le moderne ne peut être réduit à la simple opposition entre ce qui est nouveau et ce qui est ancien, entre ce qui est actuel et ce qui est passé, voire dépassé.

Il y a la modernité comme aspiration au meilleur. Cela tient au désir de connaître ou de vivre ce que son temps, le monde contemporain offre de neuf, de bien et de bon. De ce point de vue, on peut dire que le Bénin est moderne par le nombre impressionnant de téléphones mobiles qui circulent dans le pays. Cet outil moderne est omniprésent dans le quotidien des Béninois. Il a envahi l’espace privé des maisons. Il a conquis l’espace public de la rue. Les villes et les campagnes sont logées à la même enseigne. Les Robinson Crusoé de notre société, aujourd’hui, sont ces quelques hommes et femmes perdus sur une île déserte. Ils résistent. Ils n’ont pas encore accès au téléphone mobile.  

Il y a la modernité comme le produit d’un mimétisme aliénant ou d’une triste dépersonnalisation. La colonisation est passée par là. On tient le moderne pour ce qui est produit ailleurs, loin de son lieu d’usage. On pense que c’est ce qui en fait la valeur. On estime que c’est ce qui lui donne du prix. Sous ce rapport, s’habiller moderne, c’est s’accoutrer du complet-veston cravate. Sans un regard pour nos boubous et nos pagnes traditionnels. Manger moderne, c’est s’abonner à un menu qui valorise tout ce que nous ne produisons pas. Oubliés nos sauces, nos grillades, nos beignets, nos légumes. Se soigner moderne, c’est proclamer urbi et orbi qu’il n’est de médecine que ce que l’étranger tient pour la vraie science de la santé. Au mépris des onguents, des mixtures, des potions de nos guérisseurs et tradi-praticiens montrés du doigt comme des sorciers, des charlatans, des bonimenteurs.

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Il y a la modernité de l’ignorance. Elle nous fait consommer ce que nous ne connaissons pas. Elle nous pousse à singer les autres, avec l’illusion que, ce faisant, nous pouvons nous identifier aux autres, tenir les performances des autres. Nous nous sommes précipités de faire l’option des machines agricoles. Au nom de la modernité. Alors qu’il y a d’abord lieu d’observer une transition de l’ère des outils agricoles, genre houe et daba à l’ère des machines agricoles, genre charrue et débroussailleuse. Il y a la modernité de la mort. Celle qui nous amène à importer de nouvelles maladies. Du fait d’un changement dans nos habitudes alimentaires. La bouillie de céréales de nos petits déjeuners a tôt fait d’être remplacée par divers prêts à consommer. Les cubes alimentaires, les sucres artificiels, les sodas, les graisses saturées que nous adoptons, au nom d’une certaine modernité, sont en train de tuer notre art culinaire. Ils sont responsables de l’excès de cholestérol, des hypertensions, des diabètes, des cancers …

Il y a la modernité de l’absurde. Avec des Africaines qui préfèrent à leurs beaux cheveux naturels des mèches coréennes ou des perruques anglaises. Avec des Africaines qui détestent la couleur de leur peau au point de changer de peau, sinon de race, en se dépigmentant. Avec des Africains qui détestent leurs langues maternelles, leurs cultures de base ou qui en ont honte, après qu’ils se sont convaincus d’oublier ou d’effacer les sentiers qui conduisent à leur maison. Est-ce cela la modernité? Si, oui, alors, que Dieu nous en garde!

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