L’escargot se mange sans sa coquille : episode 1

Jérémie Lankoukou est un chômeur invétéré, mais aussi débrouillard que le diable est nuisible. Au début de sa carrière d’escroc, il allait au Port Autonome de Cotonou, faire ses emplettes lors des débarquements des marchandises : vols d’appareils électroménagers, dépiéçages de voitures « congelées », chapardages de friperies, rapines et autres petites filouteries.

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Il mettait alors ses butins sur le « marché des voleurs », à Zongo et les Cotonois désargentés accouraient pour les acheter. C’était à l’époque où le port ouvrait ses entrailles grandes comme la bouche d’un niais et où tous les culs de jattes pouvaient y opérer à ciel ouvert.

Grâce aux gains obtenus, Lankoukou avait réussi à s’offrir un train de vie insoupçonnable : Un « Dream » – le must en matière de deux roues au Bénin -, des « bo’mba tchigans », des chaussures en cuir, des bijoux en or et autres accessoires bling bling. Bien-sûr, les filles, il en déglinguait à la pelle. Parmi elle, Joséphine dite « Josée », une coquine plutôt sauvage avec un derrière relevé, soutenu et pointu, exactement comme la coquille de l’escargot. Mais la jeune femme ne lui a jamais offert ses soupirs, elle voulait, avant qu’elle lui ouvre pavillon, des garanties pour elle-même et pour son rejeton : de l’argent, quelques mille ou centaines de mille pour sécuriser ses fins de mois difficiles. Car, comme beaucoup d’adolescentes de son âge, un imbécile l’avait culbutée et savourée, lui laissant dans le pagne un petit garçon aux oreilles de chauve-souris.

Mais, la situation de Jérémie a entre-temps changé. Le port ayant engagé des dogues aux longs crocs pour mordre dans le jarret des voleurs, le jeune homme se reconvertit en transitaire itinérant. Mais chez lui, ne transitaient, comme clients, que des rats morts, c’est-à-dire des démunis qui lui demandaient rien que des prestations gratuites « à cause de Dieu ». A force, Jérémie Lankoukou vendit son « Dream », racla ses dernières économies et alla s’installer à Porto-Novo, dans un studio aussi ridicule qu’une guérite de gendarmerie.

Mais dans la capitale, tout le monde sait qu’on dort rarement le ventre creux les week-ends, qu’il y a toujours fêtes et boustifailles quelque part et que tout pique-assiette peut y trouver son bonheur afin de se charger la panse ou de remplir sa gamelle. Jérémie Lankoukou ne trouva pas idiot d’en profiter.

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Un jour qu’il était en train de réfléchir sur le dernier tchigan à vendre, il reçut le coup de fil enfiévré de Josée. La belle semblait maintenant plus disposée à se laisser désosser la coquille. Elle l’invitait à venir passer le week-end en sa compagnie.

Jérémie sait, en pareille circonstance, ce qu’une telle offre impliquait de sa part. Dépenser de l’argent. Au bas mot, une cinquantaine de mille. Et comme le jeune homme fait partie de cette catégorie de Béninois qui se battent pour des futilités, la décision d’aller passer le week-end en compagnie de la belle ne fut pas longue à prendre. Lankoukou promit à Josée de débarquer le lendemain avec la clé du paradis. Mais question : où trouver de l’argent ?

Au quartier Oganla, vivait un des amis d’enfance de Jérémie, Etienne Gbomitan, vendeur d’essence kpayo. Contrairement à Jérémie, lui avait, envers le sexe d’en face, la retenue du prêtre. A sa décharge : sa laideur. Il était aussi imbuvable qu’un crocodile et aucune femme normalement constituée ne peut s’imaginer, même en cauchemar, en train d’aller sous la couverture avec lui. Mais en bon « épodi-galé gomè » – sale, mais pourri de fric – il avait économisé pour s’acheter à son tour une « Dream ». Et la moto étincelait de partout, avec son chrome brillant, ses rétroviseurs couleur aluminium, son siège cellophané. Etienne y tenait plus qu’à sa propre vie.

Jérémie ne voulait qu’une chose de son ami: un prêt de vingt-cinq mille francs remboursables lorsque Dieu le rendrait riche. Mais pour négocier l’affaire, il s’arma de tout et même de l’irrationnel. Sur la langue, il jeta une poudre noire avec des clous de girofle. Gris-gris imparable qui, dit-on, vous rend aussi convaincant qu’Hitler devant la masse allemande. Effectivement, au bout de l’entrevue, Etienne Gbomitan s’écria.

-T’es un veinard, mon frère, je rêvais aussi de cette nana. Quand tu lui donneras un coup, n’oublie pas de lui asséner le mien. Je sais qu’un popi n’a jamais permis de mettre de l’argent de côté, mais il y a des popis qui méritent sacrifice.

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Cette série est protégée par les droits d’auteurs et appartient à Florent Couao-zotti, écrivain béninois. Toute copie ou reprise sur un site ou sur tout autre support est strictement interdite et peut faire l’objet d’une poursuite judiciaire.

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