L’escargot se mange sans sa coquille : episode 6

Résumé : le commandant de Brigade vient de subir un malaise cardiaque lié à un échange verbal qu’il a eu avec Josée, sa maîtresse qu’il a invitée dans son bureau pour vérifier une chose : voir si elle est liée à Jérémie, un jeune chômeur sur qui il a trouvé sur lui la photo de la jeune femme. 

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Josée pensait à un de ces numéros stupides ou à ces manigances tordues dont le Commandant était passé maître dans l’art. Elle ne croyait pas que l’homme, si sûr de son pouvoir, si vissé sur ses petits jumeaux d’en bas, pouvait flancher juste à cause d’une réplique de femme. Certes, la riposte avait été saignante, mais le gendarme, dans le passé, en avait encaissé de plus cinglantes, surtout dans les « glos-glos », c’est-à-dire, les trous à crapauds du pays où il avait servi et promené sa libido.

La jeune femme s’approcha et se pencha sur lui : étendu sur le ventre, la tempe à même le ciment, la langue « gblèlè » au sol, l’homme semblait somnoler un coma tranquille. A moins qu’il ait déjà enjambé le seuil de l’enfer ou du paradis.

Josée le toucha, le secoua, tenta de lui arracher un signe de vie, mais le Commandant ne bougea pas d’un seul orteil. C’est alors qu’elle se rendit compte de la gravité de la situation. Paniquée, elle se tourna vers Jérémie. L’ex-escroc avait, lui, des problèmes d’une autre dimension : plusieurs fois déjà, son caleçon avait accueilli des irruptions involontaires de pipi. Malgré les efforts qu’il faisait pour comprimer ces fuites, ça sortait « yo, yo, yo » ! A ce vent, une rivière allait bientôt faire son lit dans tout le bureau.

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-Chérie, s‘écria l’ex-escroc, je savais que je n’étais pas le seul, mais un CB ? Des types comme ça, ils ont du gris-gris dans le sexe, ils ne laissent rien aux autres et…

-Tais-toi ! coupa Josée.

La jeune femme chaloupa trois pas en sa direction, l’observa de pied en cape pour s’assurer qu’il avait l’esprit bien à l’endroit, puis, lui dit :

-Qu’as-tu fait pour qu’on te ficelle comme ça ? C’est lui qui t’a fait ça ?

-On parlera de tout ça après, éluda le jeune homme. Pour le moment, détache-moi, enlève-moi ces bracelets.

-Oui, mais où ont les clés ?

-Regarde voir dans les tiroirs.

Josée alla près du bureau, ouvrit le premier tiroir et plongea la main là-dedans. Effectivement, il y avait des clés et des cadenas, mais aussi des CD, des vidéos pornos. Cependant, dans un coin, une surprise l’attendait : des billets, beaucoup de billets, surtout en monnaies étrangères. Des Naïras, Cedis, Shillings, Livre, Euros, Dollars et bien sûr du CFA. Josée resta debout, les yeux presque noyés dans ce fatras des coupures de banque. C’était la première fois qu’elle voyait, concentrées en un même lieu, autant de monnaies et de devises étrangères.

Et si elle en devenait tout simplement propriétaire ? Le Commandant, tout à l’heure au téléphone, l’avait appelée en lui proposant de lui remettre des sous en souvenir d’une promesse faite depuis mille-neuf-cent longtemps au moment où ça guili-guilait entre eux. Et si c’était ce qu’il lui avait réservé ? L’homme ne gagnait pas des masses à la fin du mois, mais il pouvait, dans sa poche, étager en une journée autant de billets de banque que des cheveux dans la tignasse d’un fou. C’était de bonne guère. Il sévissait, en effet, dans une zone où rançonner, racketter, dépouiller les citoyens, surtout les automobilistes venant de la frontière, était devenu sa deuxième activité, la première étant boire et décapsuler les Béninoises, qu’elles soient en pagne ou en bouteille.

Sans attendre, la belle engouffra les billets dans son sac à main, récupéra les clés, essaya trois d’entre elles. Au bout, les menottes s’ouvrirent et Jérémie retrouva la liberté de ses poignets. L’ex-escroc se confondit en remerciements, voulut s’aplatir aux pieds de sa sauveuse, mais se rappela qu’il devrait quand même « faire l’homme », montrer qu’il était resté, malgré tout, un garçon qui sait manger du piment rouge.

Il n’avait pas fini de se remettre de ses émotions que déjà, la porte du bureau s’ouvrit à nouveau. Un sergent, la tête sans béret, entra, les yeux mangés par de violentes lunettes noires. Surprise par cette intrusion, Josée se prosterna à ses pieds :

-Sergent, Hokloho, Sergent, sauve-nous, le Commandant a un malaise, vite une ambulance !

-Une ambulance, renchérit Jérémie en affectant un air pitoyable, le Commandant va très mal, une ambulance, vite ! vite !

Le sergent avait le visage de quelqu’un qui se surprend sur la queue un crocodile alors qu’il croyait avoir affaire à un lézard. Dépassé, il tourna les talons et cria à l’aide en reprenant la sortie.

-Le Commandant se trouve mal, le Commandant a besoin d’une ambulance.

Cris heurtés. Branle-bas de combat. Les gendarmes qui se trouvaient dans le couloir ou à proximité, investirent alors le bureau. Tous entourèrent le Commandant, le pelotant, le giflant, le mordillant, histoire de le ranimer. Le remue-ménage était dantesque. Jérémie et Josée ne demandèrent pas mieux. Profitant de la confusion, ils sortirent du bureau, se glissèrent au dehors sans que personne ne se préoccupât de leur raboter les fesses.

A deux pas de la brigade, s’étendait la double chaussée Cotonou-Porto-Novo. Là-dessus, des taxis-bus, sévèrement bondés, roulant à code que veux-tu, crachant des volutes de fumée noire. Les deux fuyards en arrêtèrent un, serrèrent leurs habits et s’y engouffrèrent par l’arrière. Le véhicule était déjà ivre de son poids. Avec deux nouveaux passagers, il hoqueta, fit mine d’aller s‘encastrer sur la rambarde de protection de la chaussée avant de se ressaisir puis de s’ébranler vers Cotonou.

Josée se signa. Au nom du Père et du Fils et du Saint Routier ! Car, c’était la première, la toute première fois qu’elle prenait ce genre de roulotte rapiécée, ce que certains ont coutume d’appeler « tétanos ambulant » ou, plus grave, « cercueil roulant ».

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Cette série est protégée par les droits d’auteurs et appartient à Florent Couao-zotti, écrivain béninois. Toute copie ou reprise sur un site ou sur tout autre support est strictement interdite et peut faire l’objet d’une poursuite judiciaire.

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