L’escargot se mange sans sa coquille : episode 7

Résumé : Chômeur sans ressources, Jérémie entend passer un week-end d’enfer avec Josée, sa dulcinée. Ayant braqué une supérette, il se retrouve dans une brigade où le Commandant découvre sur lui la photo de sa maîtresse qui n’est autre que…Josée.

Publicité

Le gendarme fait appel à la jeune femme qui lui avoue tout. Profitant du malaise cardiaque du commandant provoqué par cette révélation, Jérémie et Josée prennent la fuite et s’engouffrent dans un taxi-bus.

Le taxi-bus, réplique de ce que les routiers, dans les années soixante, appelaient « dindon fata » roulait comme un homme pressé par la faim. D’ailleurs, sur son flanc, quelques mots traduisaient la philosophie de son propriétaire : « la faim chasse le lion de sa tanière ». Jérémie voulut demander au chauffeur si c’était lui, le lion, talonné par la faim ou si c’était son patron qui en était victime, mais le taximan lui parut peu disponible pour consommer une telle blague.

L’ex-escroc et sa délicieuse n’étaient pas malheureux d’avoir échappé aux gendarmes. Que le Commandant ait essuyé ce malaise était ce qui pouvait leur arriver de mieux afin de s’arracher de ce qui devenait imbroglio et impasse. Mais d’être tombé dans ce métal rapiécé ne leur parut pas non plus salutaire. D’autant que, en plus du fait qu’il était bourré, le taxi ne disposait que d’une seule ouverture à l’avant – une fenêtre – pour son aération. Toutes les odeurs échappées des dents cariées, des souffles faisandés, des aisselles dégoulinantes, des vêtements crasseux, risqueraient de provoquer malaise et évanouissements si jamais l’air cessait de circuler. Déjà, une dame se plaignait de n’avoir trouvé qu’une place à sa fesse gauche tandis que la droite se trouvait en souffrance sur le siège. Une autre demandait qu’on fasse de l’espace à son bras ankylosé qui risquait de réveiller ses rhumatismes. Un pasteur du Christianisme céleste, lui, réclamait du respect pour sa bible qui était tombée sur le plancher et que des pieds païens, impitoyablement, écrasaient.

Le taximan avait à peine une oreille à leur donner,  concentré qu’il était sur son volant. Il faisait du rallye au sodabi, slalomant entre les véhicules, dépassant par la droite, quitte à projeter les deux roues dans le décor. Josée serrait fermement contre le flanc son sac à main et jetait au plafond des « je vous salue Marie » enfiévrés. Elle priait non pas, par peur d’accident, mais parce qu’elle craignait qu’une « souris humaine » risque une patte folichonne dans son sac.

Publicité

Au bout de cinq kilomètres, le moteur du taxi commença à toussoter. Sur la jauge, l’aiguille montrait le carburant à ras. Le chauffeur ne paniqua pas. Sur les abords de la route, les vendeurs de kpayo, jerrycans tous exposés, agitaient en sa direction leurs entonnoirs pour le héler. Au bout de ses hoquets, le taxi-bus finit par s’arrêter. Une vendeuse qui faisait téter son enfant s’arracha de son siège et vint se positionner devant lui. Le conducteur lui cria aussitôt :

-Envoie-moi vingt litres !

-C’est six-cents ! avertit-elle.

-Non, cinq-cents, modéra le chauffeur !

-Toi aussi, grand frère ! C’est l’Opération Djakpata qui nous a foutus dans ce merdier.

-Djapkata, mon œil. Faut pas abuser !

-Bon, je vais te faire ça à cinq-cents soixante-quinze !

Il a suffi de cet échange pour que les passagers du bus trouvent matière à conversation. Oubliées, les odeurs faisandées ou nauséeuses. Parties, les douleurs dues à la station débout ou au déséquilibre des fesses. Opération Djapkata – serpent naja –, menée par le gouvernement pour lutter contre le trafic de l’essence de la contrebande, fut attaquée et conspuée par les passagers. Bientôt, ce fut au Chef de l’Etat en personne qu’ils s’en prirent. Un instituteur à la retraite, lunettes retenues par du fil de fer, prit la parole.

-Ce type, on ne sait pas de quelle grotte il est sorti et il est venu nous polluer l’air. C’est parce que je suis chrétien que je me retiens de l’insulter.

-Insulte-le, protesta une jeune femme à la perruque de grand-mère, insulte-le et tu verras de quel bambou je me chauffe. Vous, les Béninois, vous êtes ingrats, qu’est-ce que vous voulez à la…

-Tu es sa maitresse ou quoi ? coupa un jeune à la denture crevée. Quand vous les femmes, vous prenez ses cacahuètes de microcrédits-là, on n’entend plus rien : vous les lui ouvrez grandement, même plus grandement qu’à vos propres maris…

-Répète un peu pour voir.

-Répété ? J’ai déjà dit, même tous les sourds ici présents ont entendu.

Un grand éclat de rire secoua le bus. La femme qui était ainsi savonnée, voulut avoir le dernier mot. Mais de l’endroit où elle se trouvait à la position du jeune impertinent, il y avait deux rangs. Néanmoins, elle se leva, frappa les cuisses de façon à ce que ça produise un bruit sonore.

-Tu ne me connais pas, petit défia-t-elle,  mais si tu me provoques, je te jure que tu le regretteras toute ta vie.

Le jeune homme eut un petit rire amusé et fit :

-J’ai l’impression que tu t’es trompée d’époque, ma bonne. Tu aurais servi d’animatrice dans les groupes chocs du Togo au temps d’Eyadéma. Mais c’est pas tard, tu peux en créer ici aussi. Comme ça à ton Yayi, tu lui serviras des trucs du genre « yayiééééééééééééé ? »

Le bus, comme une chorale désaccordée, lui répondit :

-Eéééééééééééééééééééé !

-Yayiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ?

-Yaaaaaaaaaaaaaaaaaaa ‼

L’agitation du bus se confondit aussitôt aux sirènes d’un 4X4 de la gendarmerie qui surgit, venant de derrière. C’était justement un véhicule de l’opération « Djakpata », le toit griffé de gyrophares, l’arrière criblé d’agents en noir. Aussitôt, il vint se positionner devant le « dindon fata » au moment où celui-ci finissait d’avaler ses vingt litres. Trois agents, casquette à visière au front, en descendirent et exigèrent au chauffeur d’ouvrir le bus pour contrôle. Mais le conducteur n’en avait cure, il les regarda dans le nez et leur répondit.

-Je vous emmerde !

Puis, sans attendre, il s’ajusta sur son siège et redémarra. Il paraît que, dans le langage des uniformes, ce genre de situation est qualifié de « bordel civil ».  Et pour les gendarmes, c’est une occasion de « mangement grave »

<<Episode précédent. Episode suivant >>

Cette série est protégée par les droits d’auteurs et appartient à Florent Couao-zotti, écrivain béninois. Toute copie ou reprise sur un site ou sur tout autre support est strictement interdite et peut faire l’objet d’une poursuite judiciaire.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité