Le discours équilibriste de Gilles Badet qui conforte les révisionnistes

Gilles Badet, professeur de Droit constitutionnel, était hier dimanche sur le plateau de la chaîne privée Canal 3, dans le cadre de l’émission Zone Franche (voir P 3). L’impression qu’il a laissée est celle d’un technicien frileux, soucieux d’obtenir l’imprimatur de son Maître. Or, nous sommes dans le domaine du Droit, une science qui n’est pas exacte et qui s’applique à des êtres humains vivant dans la cité  et mus par des intérêts divergents.

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L’exercice d’équilibrisme auquel il s’est livré ne fait que conforter le seul camp des révisionnistes, qui veulent réviser tout de suite,  ici et maintenant.

Dès l’entame de l’émission, le professeur Badet  a affirmé, sur le mode péremptoire, citant la manchette de l’édition de vendredi  de notre confrère Fraternité, que la Cour Constitutionnelle ayant envoyé aux députés de la Commission des Lois sa dernière décision,  venait de  mettre fin, pour ainsi dire, à leur récréation. Il est même allé plus loin pour  affirmer, aussi, que si le projet n’obtenait pas la majorité nécessaire des 4/5ème, le Président de la République pourrait aller au référendum. Dans quelles conditions, et avec quelle liste électorale ? Il ne le dit pas ! Et quelle est l’opportunité d’une telle démarche, dans un climat de tension sociopolitique, et en ces jours de crise économique aiguë ? On voyait ainsi se dérouler sous nos yeux, le scénario longtemps concocté par le pouvoir, pour un passage en force d’un projet de révision élaboré par le seul gouvernement, en l’absence de consensus , principe à valeur constitutionnelle, selon la Cour Constitutionnelle.

Lire : «Il faut un consensus sur le contenu du consensus»

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Le scénario également esquissé par le professeur Holo, au sortir du fameux conclave des Présidents d’institutions, quand il a dit que l’Assemblée avait déjà entamé la procédure de recherche de consensus, par la ventilation du projet aux Maires des 83 Communes. Une sortie hasardeuse que le poulain de Holo, et futur candidat à l’agrégation, a qualifiée de simple «erreur de communication». Nous avions écrit à l’époque,  bien avant l’entrevue entre des députés de l’Un et le Président de l’Assemblée Nationale, que cette sortie des Présidents d’institution n’était pas fortuite. Elle survenait, en effet, au lendemain du message poignant de l’Episcopat,et de la lettre  au ton comminatoire du Chef de l’Etat aux évêques. La tension était à son comble et le Président Yayi semblait dans les cordes, comme un boxeur sur le point de subir un KO debout. La sortie de Holo avait un objectif précis : trouver une solution de sortie de crise. Et ça n’a pas raté ! La suite  que décrit le professeur Badet, se déroule sous nos yeux. A peine a-t-on fait mine d’entamer un semblant de consensus que le projet a été transmis à la Commission des Lois pour examen. Comme si le gouvernement, malgré les nombreux appels au dialogue lancés par les communautés religieuses non-manipulées, malgré l’opposition d’une large frange de l’opinion (syndicats de tous ordres, magistrats non-téléguidés, Société Civile) avait décidé que l’examen du projet de loi par l’Assemblée irait à son terme. Et le professeur de Droit semble dire, à mots couverts, que les dés sont jetés ! L’Exécutif a dû, à ce moment,  se frotter les mains : sa communication  est en marche.

Aveu capital

Pourtant, le professeur Badet  fera un aveu  capital dans la seconde partie de l’émission, consacrée au contenu  du projet de loi  qui devrait le retenir de soutenir ce scénario-catastrophe : aucune des deux commissions créées tambour battant, et rétribuées – on l’imagine à grands frais – par le Trésor Public, ne se reconnaît dans le projet gouvernemental. Il affirme même que le projet de  révision n’est que le projet concocté par le gouvernement, de 2006 à 2016. Certes, les thuriféraires du pouvoir avaient déjà eu à dire que le gouvernement n’était pas obligé d’entériner toutes les propositions de ces commissions. Mais alors, à quoi a servi la Commission Gnonlonfoun qui a produit un rapport circonstancié  de plus de 200 pages, qui fait des propositions pertinentes sur la manière de conduire la vulgarisation d’un projet de réforme majeure de toutes nos institutions ? Ce que le professeur n’a pas osé dire,  c’est que le Président Yayi, qui est un homme toujours pressé,  a soumis le même  projet de loi  en 2009 et en 2013, parce que ça l’arrange énormément. En homme déterminé à aller jusqu’au bout des objectifs qu’il s’est fixés, Yayi sait que tout le processus décrit par la Commission Gnonlonfoun ne risque pas de se terminer avant 2016. En effet, comment former les agents sensibilisateurs, les envoyer sur toute l’étendue du territoire, pour expliquer article après article,  comme en 1990, à des populations analphabètes et affamées, qui ont mieux à faire aujourd’hui, en moins d’un an. Ce que Badet ne dit pas, c’est que Yayi a fait son choix, en homme avisé et hautement intéressé : prendre dans le rapport Ahanhanzo ce qui l’arrange et se référer à d’autres pour le reste. Le  Père de la Constitution avait, en son temps, dénoncé le recours à l’expertise étrangère. Comment  ne pas douter de la bonne foi d’un gouvernement qui écarte les propositions pertinentes de la Commission Maurice Ahanhanzo, en faveur de l’élection de tous les Présidents  d’institutions, pour ne retenir que  les dispositions relatives à  l’initiative populaire. Le recours à cette forme de gestion de la chose publique, avec la référence  explicite aux Cantons suisses,  n’est-il pas une réforme majeure apportée dans le fonctionnement de notre système démocratique, pour qu’on demande un minimum  de consensus de tous les acteurs sociaux et politiques ? Quid alors de cette disposition inscrite dans le nouveau projet, qui fait de la Cour Constitutionnelle le juge suprême des affaires déjà jugées par la Cour Suprême ? Sommes- nous toujours, avec cette disposition, dans un système d’équilibre des pouvoirs ?

Les raisons de la crise de confiance

 Visiblement,  le professeur Badet ne voulait  pas s’affranchir de la tutelle ombrageuse de son mentor de  professeur, Président de la Haute Cour, qui a offert à Yayi sur un plateau d’argent, la porte de sortie précédemment fermée par le tollé général qu’a soulevé le projet. Sinon, comment peut-il se référer aux politologues pour expliquer les raisons de cette crise de confiance ? Comment peut-on se fier à un Chef de Gouvernement qui  ignore les recommandations d’une Commission qu’il a lui-même créée, dans le sens du consensus imposé par la Cour? La suspicion à l’égard d’un projet de révision qui recèle autant de  non-dits que de pièges, se trouve renforcé par les pratiques quotidiennes d’un régime politique qui a caporalisé toutes les institutions de contre-pouvoir et s’emploie quotidiennement à diviser les partis, pour se présenter comme seul recours .Tenez ! Où est la Haac censée protéger le libre-accès aux medias de service public? Aujourd’hui, ses membres, qui ignorent royalement les dispositions pertinentes de leur propre  Loi organique  sur ce libre-accès,  sont contraints de le  quémander auprès du nouveau ministre en tournée chez elle. Où est la Cour Constitutionnelle, dont le Président se croit obligé d’apprécier le contenu d’une loi qu’il est appelé à examiner ? Où est le Président de la Cour Suprême, qui sort de son rôle pour donner des injonctions à «ses jeunes collègues» (sic) en lutte contre les entorses aux dispositions pertinentes de leur Statut ?

Le technicien de Droit, Gilles Badet, ne peut pas feindre d’ignorer tout ce que le citoyen lambda perçoit et ressent dans sa chair. Il aurait dû conclure tout naturellement que le projet de révision, conçu dans les conditions qu’il a lui-même décrites, n’a aucune chance d’aboutir. Les députés de la Commission des Lois,  qui ont le devoir de l’avoir lu entièrement, avant même  de commencer leurs travaux,  n’ont rien d’autre à faire que de le rejeter en bloc, pour le retourner au gouvernement qui l’a conçu. A charge  pour lui de rechercher ce consensus qui, prendra du temps que nous n’avons plus à perdre. Or, en  focalisant l’attention  de tout le pays sur la révision de la Constitution, le Président nous distrait allègrement des  tâches plus importantes, que sont la lepi – introuvable en ce moment – et l’organisation obligatoire des communales et des législatives, avant la présidentielle décisive de 2016, pour l’élection  d’un vrai Président.

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