Verre Cassé d’Alain Mabanckou, Paris, Editions du Seuil, 2005, 252p

Verre Cassé est un ancien instituteur ivrogne, l’un des plus fidèles clients du bar « le crédit a voyagé », un sordide bar congolais. Il s’est vu confié par Escargot entêté, le patron dudit bar, la mission de consigner au jour le jour, dans un cahier, les faits et gestes de la clientèle, afin d’immortaliser la mémoire de ce haut lieu de toutes les rencontres, aussi cocasses les unes que les autres.

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Remplir quotidiennement un cahier des histoires abracadabrantes, avec force détails des clients, tous du même acabit, est la tâche désormais assignée à Verre Cassé. Tâche qui requiert incontestablement le talent ou le don d’un écrivain, mais à laquelle il ne saurait malheureusement se dérober. Et de quoi parle le cahier de ce fameux bar? – du type aux Pampers, un père de famille renvoyé de la maison par sa femme, et confié aux bons soins des sapeurs pompiers, qui à leur tour l’ont envoyé en prison, sous le fallacieux prétexte qu’il aurait couché avec sa propre fille. La suite de cette machination est très amère, puisqu’il a été bastonné et sodomisé jusqu’à la profanation de ses fesses ; – de L’imprimeur qui a surpris son garçon à peine adolescent, couché avec sa femme. Un véritable flagrant délit du péché sexuel, un sacrilège. Désarçonné par cette scène inédite, il s’est retrouvé à l’asile des fous, où il passe tout son temps à délirer et à faire entendre, à qui veut l’écouter, comment son propre fils l’a cocufié. – de Robinette, une mastodonte qui boit et qui pisse comme ce n’est pas permis ; une vraie femme de fer qui défie même les hommes les plus ivrognes et les plus viriles, à toutes les compétitions de pisse et de jambes en l’air. – de Verre Cassé lui-même. Un enseignant réputé et éthylique, dont les mœurs d’homme primitif ont été révélées au grand jour, connues de toute la société et de tous ses élèves. Il a été interdit d’intervenir dans les salles de classe, et rayé de la Fonction Publique. Son amour pour l’alcool dirige régulièrement et fidèlement ses pas vers le bar « le crédit a voyagé », un lieu par excellence où les désespérés et les anéantis de la cité vont chercher l’oubli et la bonne raison de vivre. C’est alors que le patron du mémorable lieu l’a obligé à écrire un livre de témoignage. Il s’agit d’un roman surprenant, déconcertant, singulier, fait d’histoires inattendues, racontées par des personnages à la fois insupportables et drôles. Des personnages verbeux et impertinents, mais profonds en fin de compte, de par la pertinence de leur récit. Des acteurs tous porteurs d’un message, d’une leçon de vie et qui inspirent pitié et compassion au cours de leur narration. C’est à dessein qu’Alain Mabanckou a choisi des personnages de cette espèce, pour faire passer son message. Des gens qui sont tous tombés de leur piédestal, des déchus, voire des cabris morts qui n’ont plus peur de couteau. Ils s’en foutent de la vie et de tout. Ce qui leur importe, c’est l’alcool qui leur permet de dissiper les soucis. Ils racontent allègrement leur vie de merde, leur misère, leurs aventures ambiguës, leurs déchéances, leurs échecs, et s’enorgueillissent de leurs gloires passées. L’absurdité, la déchéance, l’amour, l’infidélité, le désespoir, l’échec, l’incertitude, le déboire, etc… sont, entre autres, des thèmes dont l’auteur traite dans ce livre. Alain Mabanckou adopte un style et une écriture qui ne laisseraient aucun lecteur indifférent. Ecrire entièrement un roman en une seule phrase, sans le moindre point, tout en se foutant et de la ponctuation et des normes classiques qui régissent l’écriture, il faut être un écrivain à la plume confirmée, pour gagner ce pari. La narration, la crudité du langage, le jeu de la citation des titres d’œuvres auquel se livre aisément l’auteur et la grande profondeur du récit, font du Verre Cassé un chef-d’œuvre littéraire. Un roman qui se lit avec délice, et dont l’adaptation et la mise en scène apporteront, indubitablement, grand bonheur aux amoureux du théâtre. Il est aussi à noter que Alain Mabanckou a plus d’une vingtaine d’œuvres a son actif, et des distinctions honorifiques, notamment le Prix des Cinq Continents de la Francophonie, pour Verre Cassé, 2005, et Prix Renaudot 2006, pour Mémoires de porc-épic. En vérité, Verre Cassé présente l’Afrique aux prises avec sa destinée, l’Afrique qui va à tâtons, se cherche et se recherche. Il présente des vies sombres et anéanties, des vies qui n’ont que déboires et utopies pour exister. Des vies qui ne sont alors quelque chose que dans le bonheur du passé. Et ces vies misérables, ces damnés de la terre, ces déchets humains, n’ont d’autre option que de s’accommoder, de trinquer autour de leur fameux Verre Cassé, parce que incapables, peut-être, de faire autrement, pour l’amélioration de leur condition de vie. Ainsi, Verre Cassé se veut être une réflexion profonde sur l’Afrique, sur son réel décollage et sur son destin.

Cotonou, le 07 novembre 2013
Robert ASDE,
Président de l’Association AIYE CULTURE
E-mail : aiyeculture@yahoo.fr

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