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Rendre viable la gestion des ressources naturelles en Afrique

Face aux enjeux du changement climatique et des problèmes de gouvernance que posent l’exploitation des ressources naturelles en Afrique, dans un contexte géopolitique marqué par des rapports de force de divers acteurs aux intérêts multiples, il demeure primordial de « prendre au sérieux » la gestion des ressources naturelles.

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Ainsi, au regard de l’impact de l’exploitation des ressources naturelles sur la paix, le climat, les migrations, la gestion des affaires publiques, dans une période charnière des relations des 54 États du continent avec le reste du monde, il devient urgent de proposer une alternative africaine aux stratégies extérieures. En ce sens la production d’un savoir utile et prospectif sur l’Afrique dans le but d’éclairer les décisions et les stratégies est indispensable. Il est aussi important de penser le continent à partir de ses chercheurs et de ses décideurs pour que « l’Afrique soit au chevet de ses propres malades » selon la formule du Dr. Saïd Abbas Ahamed, directeur exécutif de Thinking Africa.

Une richesse naturelle exceptionnelle sous gestion défaillante

Les ressources naturelles africaines sont à la base du « développement capitalistique de l’Europe » depuis la période précoloniale et coloniale selon le professeur Walter Rodney dans son ouvrage culte « Et l’Europe sous-développa l’Afrique : Analyse historique et politique du sous-développement », publié en 1972. Dès les années 1960, les États africains nouvellement indépendants et majoritaires au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies vont adopter le 14 décembre 1962, la résolution 1803 (XVII), sur la « souveraineté permanente sur les ressources naturelles ». La vie des jeunes États postcoloniaux a depuis été fortement influencée par un contexte de « nouvel ordre économique international », où la question de la gestion des ressources naturelles a été au centre de nombreux coups d’État comme au Congo (Zaïre), au Nigéria, au Niger, en Centrafrique, en Ouganda etc.

Les ressources naturelles étant le moteur de l’industrialisation, les problématiques relatives à ces ressources demeurent toujours fondamentales pour l’épanouissement capitalistique de tous les pays. Outre la terre, le terme de ressources naturelles en Afrique fait référence à des ressources organiques fossiles (comme le pétrole, le gaz naturel etc.) ou des matières premières minérales (eau douce, granulats, minerais métalliques, etc.), dont l’exploitation constitue un enjeu majeur pour le système capitaliste contemporain. Par exemple, selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), le continent abrite 54 % des réserves mondiales de platine, 78 % de diamants, 40 % de chrome, 28 % de manganèse, 70% des gisements de coltan (indispensables à la production des puces électroniques). En somme, l’Afrique possède environ 30% des ressources naturelles de la planète. Mais, la gestion de ces ressources naturelles demeure défaillante dans la majorité des pays africains. Comme le souligne le Dr. Sadia Chérif, sociologue et enseignant-chercheur à l’université de Bouaké en Côte d’Ivoire, « la gestion des ressources naturelles reste synonyme de corruption et de détournement tant elles constituent un enjeu mondial où s’expriment des jeux d’acteurs mus par des logiques différentes ». Malgré les quelques avancées en matière de gouvernance des ressources naturelles en Afrique, la gestion de ces ressources reste néanmoins très préoccupante.  En effet, « la situation d’économie de pillage des ressources naturelles africaines par les puissances coloniales qui a prévalu jusqu’à la première moitié du XXème siècle n’est certes plus la même dans la quasi-totalité des pays africains, mais le mode de gouvernement de ces ressources demeure globalement médiocre. Même dans les cas où les pillages sont principalement l’œuvre d’acteurs externes, a minima, les dirigeants des États postcoloniaux en sont de connivence » selon le Dr. Symphorien Ongolo, politiste et chercheur associé à l’université de Göttingen en Allemagne. La défaillance dans la gouvernance des ressources naturelles a un impact immédiat sur la paix dans les États qui en bénéficient.

Conflits et luttes d’accès à la gestion des ressources naturelles

Si l’on ne peut pas résumer l’origine complexe des conflits sociaux et armés en Afrique en une seule cause, il n’en demeure pas moins que « la question de l’accès ou de l’usage des ressources naturelles peut considérablement accentuer les risques de propagation de conflits latents et amplifier l’ampleur des conflits ouverts », le cas des conflits fonciers en Côte d’Ivoire est un exemple typique en ce sens. De même, de nombreux exemples en Afrique occidentale démontrent que les « ressources naturelles peuvent contribuer à l’explosion de violences ainsi qu’à leur prolongation » comme l’illustrent les guerres civiles au Libéria et en Sierra Léone ; les tensions sociales et l’instabilité politique dans la bande sahélienne et dans la zone du delta du Niger etc. Un rapport du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) s’est à ce titre penché en 2009 sur les guerres civiles récentes et les troubles internes alimentés par des ressources naturelles en Afrique, tout comme le rapport de 2012 du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) orienté sur la question des ressources naturelles, les conflits et la construction de la paix en Afrique de l’Ouest. Outre les conséquences sociales dans les zones de tensions, les conflits liés aux problèmes de gestion des ressources naturelles créent un terreau favorable à la détérioration du vivre ensemble et peuvent dans certains cas induire des déplacements plus ou moins massifs de personnes.

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Ressources naturelles, climat et migrations en Afrique

Les États africains ont souvent été  pionniers dans la traduction en instruments juridiques régionaux et nationaux des conventions et accords internationaux de protection de l’environnement. Dans certains cas, le continent africain a joué un rôle de précurseur en matière d’initiatives environnementales  avec la création des instances régionales comme la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) créée en 1964, ou le Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS) créé en 1973. Malgré cette proactivité dans la formulation des politiques environnementales, il existe un réel paradoxe au niveau africain entre l’enthousiasme en matière de formulation de règles environnementales et l’inertie dans leur mise en œuvre.

L’une des raisons de ce paradoxe est liée à « l’incapacité des dirigeants à envisager une action publique de long terme sans bénéfice immédiat pour eux ou leurs entourages », et le fait que « de nombreux leaders politiques conditionnement leurs actions en faveur de l’environnement à des incitations (de type aide publique sous forme de projets ou autres) de contrepartie attendues des acteurs internationaux à qui la vertu environnementale est supposée profiter en premier ». L’impression du retard africain dans le domaine environnemental provient également de son « incapacité à financer ses propres recherches » et à adosser l’action publique sur un savoir établit. Le sociologue Sadia Chérif précise à propos du dernier accord international sur les changements climatiques que : « l’accord de Paris sur le climat a confirmé [l’attitude] d’attente africaine de financements occidentaux pour [la mise en œuvre] de ses programmes dans ce domaine ». Il s’agit de véritables « prisons », la « prison des experts internationaux » et de « l’aide publique au développement » pour reprendre le professeur Jean-Pierre Olivier de Sardan. Ainsi, «  plutôt que de développer les initiatives locales, l’ingéniosité populaire, ou les réformes venant de l’intérieur, l’aide au développement induit la dépendance, les stratégies de captation et l’addiction aux réformes venant de l’extérieur ».

Empiriquement, une étude du Fonds international de développement agricole (FIDA) de 2012 démontre la liaison entre la mal gouvernance des ressources naturelles et la pauvreté des ruraux qui induit un exode rural et des migrations internes. Il devient ainsi urgent de repenser le modèle de gestion des ressources naturelles dans un monde en transition climatique.

De l’hyper exportation à une trajectoire d’industrialisation raisonnée

Les ressources naturelles africaines sont « une bénédiction et non une malédiction » comme le relève en 2014 le Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, M. Carlos Lopes. Il est indispensable de sortir du piège colonial d’exportation quasi exclusive de matières premières pour amorcer une trajectoire d’industrialisation raisonnée et écologiquement viable tournée vers la transformation poussée des matières premières. Car de nos jours encore, « bien qu’une matrice d’économie locale en formation souvent ‘informelle’ tend à émerger, le destin d’une écrasante part des ressources naturelles du continent continue de se jouer hors des frontières africaines emportant de fait le potentiel de valeur ajoutée et de création d’emplois dont a besoin l’Afrique pour son développement » comme le fait remarquer le politiste Symphorien Ongolo.

D’où la nécessité d’une « industrialisation par le commerce » pour reprendre l’intitulé du rapport de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique de 2015. C’est-à-dire la relation de dépendance entre le commerce et l’industrialisation mettant en exergue le rôle et la place de la politique commerciale et du commerce dans le processus d’industrialisation. Cette industrialisation doit s’opérer dans un contexte de politiques publiques axées sur la recherche visant à appuyer des cadres administratifs juridiques et réglementaires favorables à la mise  en place d’un environnement institutionnel propice à une meilleure gestion des ressources naturelles en Afrique.  

Toutefois, si « l’industrialisation peut inverser la tendance » en favorisant la réduction de la pauvreté et en permettant la création d’emplois, il faut en amont régler la question de la « souveraineté alimentaire ». Faute de quoi, « l’industrialisation ne fera que renforcer davantage la logique d’exportation vers l’extérieur ». Pour mieux profiter aux populations africaines, le nouvel âge de l’industrialisation raisonnée en Afrique  devrait par ailleurs favoriser les échanges intra-africains et les échanges entre les Communautés économiques régionales. À titre d’exemple, « un axe de coopération économique où le pétrole angolais serait en priorité tourné vers l’Afrique du Sud semble bien plus profitable au continent à terme que lorsque ces ressources sont régulièrement l’objet de deals opaques avec des entreprises asiatiques et européennes. De même, une bonne partie du bois exploité dans les pays du bassin du Congo pourrait largement trouver marché auprès des géants comme le Nigéria, l’Egypte ou les pays du Maghreb qui manquent de cette ressource » pour reprendre l’idée du politiste Symphorien Ongolo.

Vers « une industrialisation verte » et la valorisation de « l’économie bleue »

Le dernier rapport de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique de 2016 revient sur l’idée d’une « industrialisation verte en Afrique ». Le défi à relever reste la transformation des modes de productions, la création d’infrastructures à l’échelle du système afin d’assurer la sécurisation des approvisionnements en eau, en énergie et en produits alimentaires. Le rapport relève par exemple qu’en Angola, la croissance du PIB est restée forte malgré la baisse des prix du pétrole, le gouvernement ayant entrepris d’investir dans des secteurs stratégiques non pétroliers tels que la technologie, l’électricité, la construction. Le Mozambique et la Zambie eux ont enregistré les plus fortes croissances de la région d’Afrique australe, soutenues respectivement par de grands projets d’infrastructure et les investissements directs étrangers dans le secteur minier. L’on peut affirmer que, l’accent mis sur le développement des secteurs stratégiques non pétroliers ou miniers notamment en ce qui concerne l’agriculture, l’eau par exemple permettrait de réduire la dépendance à certains revenus pétroliers ou miniers, de développer l’économie nationale, de créer des emplois et d’éviter le dictat des institutions financières internationales comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international.

L’industrialisation en plus d’être une source d’emplois verts, devrait permettre aux États d’accroître leur investissement dans des secteurs sociaux essentiels pour le renforcement du capital humain, et de mettre à la disposition des femmes des compétences et des technologies vertes dans le cadre d’une industrialisation verte inclusive, équitable et durable, comme le précise à juste titre la CEA. Cette industrialisation basée sur les ressources naturelles devrait permettre la mise en place d’une planification urbaine et d’infrastructures respectueuses de l’environnement dans l’optique d’une émergence de « villes intelligentes ».

L’Afrique contribuant « peu à la dégradation de l’environnement » et étant « très vulnérable aux aléas environnementaux et climatiques », la stratégie d’une « industrialisation verte » permettra de maintenir la faible part africaine aux émissions de gaz à effet de serre et d’anticiper les conséquences des bouleversements climatiques et les famines. Ainsi quatre grands angles d’attaque peuvent servir à faire de l’industrialisation verte une réalité en Afrique. En reprenant la CEA, il s’agit : de la modification des avantages de prix, de l’inclusion de normes environnementales dans la réglementation nationale, du «  verdissement  » de l’infrastructure publique et de la réduction de l’intensité en ressources de la croissance économique, un processus appelé « découplage ». On retrouve des amorces de cette stratégie en Tanzanie et au Zimbabwe avec les « centre nationaux de production propre » ; en Ouganda avec l’industrie du cuir ; au Ghana avec la chaîne de valeur du bois ; en Côte d’Ivoire et au Nigéria avec l’agro-industrie ; au Malawi avec le biocarburant ; au Maroc et au Rwanda avec l’énergie solaire ; au Kenya avec l’énergie géothermique ; en Angola, Bostwana et Namibie avec le bassin hydrographique transfrontières du Cubangookavango ; à Maurice avec l’écologisation de la chaîne maritime ; en Afrique du Sud avec l’eau et l’exploitation minière durable ; en Ethiopie avec le parc éco-industriel de Hawassa etc.

Comme « l’industrialisation verte », « l’économie bleue » relève aussi d’une importance stratégique indéniable pour le continent. En effet, selon le rapport de la Commission économique des Nations Unies de 2016 sur « l’économie bleue en Afrique » : « plus de 90  % des importations et des exportations transitent par mer. Les poissons de mer et d’eau douce sont un apport vital à la sécurité alimentaire et nutritionnelle de plus de 200 millions d’Africains. La pêche fournit un revenu à plus de dix millions d’entre eux ». Il faut aussi souligner que : « 38 des 54 pays africains sont des États côtiers. Les zones maritimes sous juridiction africaine s’étendent sur quelque 13 millions de kilomètres carrés, y compris les eaux territoriales, les zones économiques exclusives (ZEE), et un plateau continental d’environ 6.5  millions de km² (dont l’exploitation est placée sous la juridiction des États côtiers attenant) ». Le continent dispose ainsi d’immenses ressources océaniques susceptibles de conforter son décollage et l’intensification de son développement durable. Il s’agit d’un secteur clé qui profite déjà illégalement aux navires de pêche chinois et européens qui viennent se fournir gratuitement sur les côtes africaines, l’Union européenne quant à elle a déjà commencé à signer des accords de pêche avec les États côtiers africains dans le cadre du partenariat de l’accord de Cotonou en complément des accords de partenariat économique. Une réappropriation de ce secteur est incontournable pour assurer un développement durable.

La viabilité de la gestion des ressources naturelles dans une perspective de développement et d’assurer la paix sur le continent nécessite une prise au sérieux de l’élaboration de stratégies endogènes de planification à long terme du développement, la construction de plates-formes pour la création et l’innovation. Les pays africains doivent donc prendre en main leurs stratégies économiques et déterminer leurs programmes de financement dans l’optique de favoriser la création d’emplois, l’expansion des revenus et les contenus locaux. 

Adam Abdou Hassan,
membre chercheur à l’Institut de recherche et d’enseignement sur la paix en Afrique (Thinking Africa).

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