L’agriculture béninoise a-t-elle besoin d’une mécanisation (motorisation)?

L’agriculture joue un rôle prépondérant dans l’économie et la vie des béninois. Elle est le premier pourvoyeur d’emploi pour la population active,  41,1% des 2 987 852 actifs occupés en 2011. Elle procure environ 70 à 80% des recettes d’exportation du secteur agricole et participe à hauteur de 15% aux recettes de l’Etat et représente 24,7% du PIB en 2013 (BAD).

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L’agriculture béninoise dispose donc d’énormes potentialités qui pourraient soutenir la croissance économique nationale et contribuer ainsi à lutter efficacement contre la pauvreté (DPP/MAEP, 2010). Malheureusement, malgré la contribution du secteur, fruit de plusieurs politiques et stratégies de développement, ses résultats n’ont pourtant pas permis de régler efficacement la question de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Bénin. En effet, la proportion de ménages en insécurité alimentaire a presque triplé pour se situer à 33,6% entre 2009 et 2010 et celle à risque s’est accru à 21,6% (EMICoV, Suivi 2010; AGVSAN, 2009). Cet état de chose serait dû à une faible productivité dont les causes sont entre autres, l’utilisation des outils archaïques et des semences non améliorées, la non maîtrise de l’eau, la mauvaise organisation des filières, l’insuffisance de l’encadrement technique, le manque d’infrastructures et l’absence quasi-totale de financement des activités de production. Ce qui ne favorise pas son dynamisme et ne la rend ni compétitive, ni moderne, ni créatrice de richesse.

Pour permettre à l’agriculture de jouer pleinement son rôle de création de richesse, le Gouvernement a opté pour plusieurs solutions dont la mécanisation (motorisation) de l’agriculture. Au regard des caractéristiques actuelles de notre agriculture, a-t-on besoin d’une mécanisation? Mieux, cette mécanisation répond-t-elle à la spécificité de l’agriculture béninoise?

Le Bénin regorge d’énormes potentialités agricoles. On dénombre 11 millions d’hectares de terres agricoles disponibles dont seulement 17% sont annuellement cultivées, 60.000 hectares de bas-fonds disponibles mais seulement 11,7% sont exploités, 1.500 hectares de périmètres aménagés en exploitation partielle, tandis que 117.000 ha de plaines inondables et vallées peuvent être mis en valeur.  Le pays dispose de ressources en eau très abondantes avec une estimation de 13 milliards de m³ de réserve d’eau de surface et 1,8 milliards de m³ d’eau souterraine (PSRSA, 2011). Avec l’existence d’une main d’œuvre relativement abondante pour l’exploitation agricole et un climat favorable à plusieurs spéculations, le pays dispose des ressources naturelles importantes pouvant lui permettre de répondre aux besoins alimentaires et nutritionnels de sa population et d’être un pays exportateur de produits agricoles. La mécanisation de l’agriculture béninoise serait donc un atout pour valoriser tout ce potentiel et permettre de booster la création de la richesse et par voie de conséquence, de réduire la pauvreté.

Pourtant, selon le plan stratégique de relance du secteur agricole, l’agriculture béninoise est dominée par de petites exploitations agricoles (On estime aujourd’hui à environ 550.000 exploitations agricoles réparties sur huit zones agro écologiques). Elles sont constituées en majorité de petites et moyennes exploitations de type familial orientées vers la polyculture associée souvent au petit élevage (volailles, petits ruminants ou porcins). La superficie moyenne de ces exploitations est estimée à 1,7 ha sur laquelle vivent en moyenne 7 personnes. Environ 34% des exploitations couvrent moins d’un hectare. Seulement 5% des exploitations dans le Sud et 20% dans le Nord du Bénin couvrent plus de 5 ha. Malgré la prédominance de l’agriculture de type familial, il existe de plus en plus des entreprises agricoles modernes mais sont encore peu nombreuses pour de multiples raisons.

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Il ressort donc que les exploitations agricoles du Bénin sont généralement de petite taille. Ce qui fait que l’agriculture est basée sur l’énergie humaine (On note que 76% des travaux de labour se font de façon manuelle et 23% par la culture attelée).  Sur ces exploitations de petite taille, l’utilisation de machines agricoles ne serait pas rentable car engendrerait des coûts de production plus élevés alors que les rendements ne sont pas suffisants. Ce qui appauvrirait davantage les ménages agricoles. En effet, une étude a montré que le passage direct de la culture manuelle à la motorisation n’est guère rentable compte tenu du faible degré d’intensification des systèmes de production et des coûts de transition – tels que le dessouchage, les coûts d’accès aux équipements et les coûts d’apprentissage – à l’exception des zones de plaines alluviales dépourvues d’arbres et des savanes herbeuses, en particulier pour la production du riz irrigué (Mrema et al., 2008). Pour réduire la pénibilité des travaux champêtres et augmenter les superficies de ces exploitations, donc la production, une mécanisation de l’agriculture serait nécessaire. Mais les coûts d’acquisition et d’entretien de ces machines sont hors de portée des agriculteurs. Même subventionnées à l’achat, les agriculteurs ne seront pas en mesure de couvrir les coûts de maintenance de ces machines puisque leur revenu n’est pas conséquent à cause du faible rendement de la production. En effet, le rendement moyen annuel de la production du coton, produit d’exportation, ces dix dernières années est de 995kg/ha alors que ceux des USA et le Pakistan sont respectivement de 2,25 et 2,05 tonnes/ha; le rendement moyen annuel de la production céréalière tourne autour 1,4 tonnes/ha contre 3,6 tonnes/ha au niveau mondial; les légumineuses moins d’une tonne à l’hectare. Seule la production des tubercules et racines a un bon rendement qui varie entre 10 et 12,5 tonnes à l’hectare (FAO, 2009). La faiblesse de ces rendements ne permet pas d’avoir une production suffisante pour faire face au coût de la mécanisation pour nos agriculteurs. Ceci est corroboré par une étude récente qui a démontré que la productivité du travail à l’hectare diminue lors du passage du labour attelé au labour motorisé car l’accroissement des rendements n’est pas significatif et les coûts d’un travail motorisé sont plus élevés que ceux d’un travail en culture attelé (FARM, Champ d’acteur n°3, avril 2015) mais la production augmente puisque la superficie emblavée augmente.

Au vue de ce qui précède, la principale difficulté de l’agriculture béninoise est le rendement et non la pénibilité des travaux champêtres. Ainsi, la mécanisation de l’agriculture n’est pas encore opportune pour l’instant et ne correspond pas au besoin actuel de notre agriculture. Alors que faut-il faire pour rendre notre agricole à même de créer plus de richesse et contribuer à la réduction de la pauvreté?

Deux éléments essentiels sont nécessaires pour permettre à l’agriculture béninoise d’être un levier de développement et faciliter sa mécanisation. Il s’agit de l’amélioration des semences et des techniques culturales. Le premier défi à relever pour rendre l’agriculture béninoise performante est l’amélioration des semences. Des semences améliorées pourraient augmenter le rendement. C’est le cas pour le palmier à huile sélectionné et le riz Nerica. Il faut des semences capables de résister aux aléas climatiques, aux prédateurs et adaptées au type de sol. Pour ce faire, la recherche agricole sera d’un grand secours. Il faudra donc investir dans la recherche. C’est le rôle du gouvernement.

Le deuxième défi de l’agriculture béninoise est l’amélioration des techniques culturales. Dans ce volet, il s’agit d’abord de la maîtrise de l’eau. Elle permet d’être en mesure de faire l’agriculture en période de pénurie d’eau et de réduire les risques d’inondation en période de crue. En d’autres mots, cela signifie qu’on utilise le surplus d’eau retenu durant les crues pendant la période de pénurie. La maîtrise d’eau est aussi un élément essentiel pour pouvoir développer les produits de contre saison; ce qui renforcerait les revenus des agriculteurs. Ce surplus de revenu peut leur permettre de supporter le coût de la mécanisation. Malheureusement, la maîtrise de l’eau dans l’agriculture est actuellement très approximative. Il existe très peu de barrages et d’aménagements hydro-agricoles malgré les grandes potentialités dans ce domaine. Il existe 10.973 ha d’aménagements avec maîtrise totale et 1.284 ha avec maîtrise partielle (Agriculture béninoise, CIPB, mai 2007). Ensuite, il faut développer la culture attelée qui sera une étape intermédiaire entre l’agriculture manuelle et la mécanisation. L’avantage de la culture attelée est double. Non seulement, elle permet de réduire la pénibilité du labour et est adaptée aux petites exploitations, mais elle correspond aussi au type d’exploitation qui associe le petit élevage à l’agriculture et a un coût raisonnable pour les agriculteurs. Les bouses de vaches peuvent être utilisées comme fertilisant du sol à la place des produits chimiques. Aussi, il faut aider les agriculteurs à revoir et peaufiner leur méthode de production. On peut développer la culture sur pilotis dans les zones marécageuses ou inondables, abandonner la culture sur brulis au profit des techniques culturales simplifiées. Et enfin, il faut encadrer et former les producteurs sur les méthodes de production avancées et l’utilisation des intrants agricoles biologiques. Cela pour leur permettre d’être de véritable entrepreneur agricole.

Une fois ces défis relevés, on pourra introduire la mécanisation (motorisation) dans l’agriculture. Elle aura pour effet d’accroitre la superficie emblavée, réduire la pénibilité du travail, augmenter la production et accroitre le revenu des agriculteurs. Ainsi, l’agriculture pourrait contribuer à réduire le niveau de pauvreté dans les ménages agricoles en particulier et la pauvreté en général. Néanmoins, l’introduction de la mécanisation dans l’agriculture béninoise doit suivre un certain nombre de conditions et de mode d’utilisation. Le choix des outils et des machines doit être un compromis entre les coûts, la rapidité d’exécution, la qualité et l’efficacité du travail et, éventuellement, la polyvalence (utilisation sur différentes spéculations) (Marie Balse et al., 2015). La diffusion de la motorisation doit viser la réduction des coûts de production, l’amélioration de la productivité du travail, etc. En outre, pour faciliter l’acquisition des machines par les agriculteurs et leur entretien, nous préconisons de les mettre en coopérative. Ils supportent ensemble le coût d’acquisition et de maintenance mais utilise à tour de rôle ces matériels.

Odilon LOKO
Ingénieur Statisticien

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