Loi sur le recueil du renseignement: Les insuffisances des explications d’Arifari Bako

Jugée liberticide par les uns, attentatoire à l’Etat de droit par les autres, la proposition de loi sur le recueil de renseignement du député Arifari Bako fait toujours polémique.

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Suite aux critiques et indignations des citoyens dans les médias classiques et sur les réseaux sociaux, le président de la Commission des Relations extérieures, de la coopération au développement, de la défense et de la sécurité, est monté au créneau pour expliquer ses motivations et objectifs (a lire ici). L’ambition de doter le Bénin d’un cadre législatif sur le recueil des renseignements est louable. Il faut toutefois souligner que l’initiative de l’ancien ministre des affaires étrangères suscite de nombreuses inquiétudes que ses explications n’ont pu dissiper. Juriste internationaliste et citoyen engagé, Djidénou Steve Kpoton relève (lire texte ci-dessous) les insuffisances des explications du député. Elles concernent le diagnostic fait par l’initiateur de la proposition de loi, sa démarche ainsi que le contenu du texte.

Cher Honorable Nassirou BAKO ARIFARI,

J’ai lu avec une discipline religieuse vos explications dans la presse, suite à la psychose générale suscitée par une proposition de loi sur le recueil de renseignement dont vous êtes, à suivre vos explications, l’initiateur et le concepteur.

Dans la forme, c’est un devoir pour tout élu de s’expliquer chaque fois qu’il est interpellé par l’opinion, d’une manière générale. En particulier, le député étant le représentant du peuple, c’est un acte de responsabilité et de grandeur d’esprit. Car, avoir une relation interactive entre les élus et leurs mandants, c’est oxygéner la démocratie. Je vous en félicite pour la promptitude de votre réaction.

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De vos explications, je retiens trois centres d’intérêts à savoir le diagnostic du secteur des renseignements, la méthodologie et le contenu de votre proposition de loi. Ma démarche vise à relancer le débat sur ces trois points.

Il n’y a pas eu diagnostic*

Sur le diagnostic, si votre proposition de loi a été accueillie par l’opinion comme un mouton à cinq pattes, c’est pour la simple raison que votre diagnostic du départ est biaisé. En effet, parlant du cadre juridique du recueil des renseignements, vous estimez qu’ « il s’agit d’un secteur où l’arbitraire est la chose la mieux partagée d’un régime à l’autre, y compris l’actuel. Pourtant, il n’y a pas d’accoutumance à préserver le non droit dans une République qui a choisi la démocratie depuis la Conférence nationale de février 1990, comme forme de gouvernement ». Dans un pays où l’inviolabilité de la vie privée, des correspondances et des communications sont des droits garantis et protégés par la constitution, le caractère péremptoire d’un tel diagnostic pourrait prêter à sourire, si les enjeux n’étaient pas aussi cruciaux. Pourquoi le diagnostic ne tient pas compte du droit existant dans le secteur ?

A lire Proposition de loi portant recueil du renseignement: Menaces sur la république (lire la proposition de loi ici)

Car, au regard de la constitution (article 20, 21 de la constitution) et du code de procédure pénale (article 53 du Nouveau code), les écoutes téléphoniques non judiciairement autorisées sont proscrites. Par conséquent, dire que c’est un secteur de non droit n’est rien d’autre qu’une méconnaissance de la constitution et des textes en vigueurs. Donc, un diagnostic qui conclut à un secteur de non droit est discutable voir contestable. Autrement, il n’y a pas eu diagnostic.

La méthode pose problème

Sur la méthode, à la lecture de l’exposé des motifs qui justifient votre proposition de loi, une légèreté caractérielle saute à l’œil. En effet, pour un secteur aussi complexe que le recueil des renseignements, vous convenez avec moi qu’une rigueur méthodologique devrait encadrer votre proposition de loi. Dans cette perspective, vous disposez de deux voix pour ne pas dire trois.

Primo, la loi vous donne la possibilité de convaincre vos collègues parlementaires sur la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire. Cette, voie vous permettrait de jouer votre rôle de contrôle de l’action gouvernementale dans ce secteur. Mieux, elle aurait le mérite de situer les responsabilités dans la chaine du recueil de renseignements, c’est-à-dire vérifier si les dispositions constitutionnelles et légales en la matière sont respectées par les autorités publiques. Je reconnais que cette voie parait compliquée en fonction des rapports de forces actuels au parlement. Mais, quel est ce député responsable et cohérent qui peut s’opposer à une enquête parlementaire dans un secteur donné, et accepter plus tard de voter une loi dans ce même secteur ? Autrement, si vous ne pouvez pas obtenir une majorité de député pour aller contrôler ce qui se passe dans un tel secteur, comment vous pouvez alors convaincre vos collègues à voter votre proposition de loi ?

Deusio, si la voie de l’enquête parlementaire se complique, il y a celle des missions parlementaires d’information qui parait plus flexible. En ce sens qu’elles peuvent être décidées par un groupe de députés, un groupe parlementaire ou une commission permanente. C’est une possibilité légale offerte aux parlementaires d’aller toucher du doigt les réalités d’un secteur donné, d’un service de l’Etat, d’une problématique publique donnée ou d’une région donnée afin d’en tenir compte dans la politique législative, dans les débats en commission ou en plénière et dans la conception de proposition de lois. Pourquoi ne pas emprunter cette voie en ce qui concerne la proposition de la loi sur le recueil des renseignements cher honorable ?

Tertio, la troisième voie, celle qui ressemble le plus à une démarche d’intellectuel. En tant que président de la commission de la défense et de la sécurité au parlement, vous pouvez en collaboration avec une structure spécialisée ou avec des experts du secteur, organiser une table ronde sur le sujet. A l’issue de cette table ronde, un document sous la forme d’un livre blanc est rendu public. Evidemment, le contenu pourrait susciter des débats. Ainsi, tout en tenant compte des débats suscités, ce livre blanc servira tout au moins d’appoint pour votre proposition de loi.  

Or, dans votre démarche de proposition d’une loi dans un secteur complexe qui vous préoccupe tant cher honorable, le citoyen que je suis se trouve dans la désolation de constater qu’aucun travail intellectuel préalable rigoureux, lisible et traçable ne soutient votre proposition. Cela est d’autant plus vrai que, ni dans l’exposé des motifs de la proposition de la loi, ni dans votre explication a posteriori, vous ne faites référence en aucun moment à aucun rapport officiel, étude publique ou de travaux scientifiques. La vie privée des béninois en jeu ne mérite-elle pas ce minimum de sérieux de la part de ses élus ?

Des contradictions évidentes

Sur le contenu de votre proposition de loi, cher honorable, je fais le constat des contradictions évidentes entre certaines dispositions et les justificatifs évoqués dans votre explication. D’abord, comme vous le dites, la proposition de loi dont vous êtes le concepteur « vise à créer un minimum d’encadrement juridique et de possibilités de contrôle parlementaire sur les services de renseignements.  C’est une vraie avancée démocratique dans la sauvegarde des libertés individuelles », selon vous. En quoi la « fabrication d’une loi » qui accorde les pleins pouvoirs au Président de la République de mettre sur écoute un citoyen béninois est une avancée démocratique au 21e siècle ? En quoi une loi qui autorise les agents de renseignement à disposer de la vie des béninois comme s’il s’agissait de simples animaux est une avancée qu’il faut célébrer ? Vous qui voulez protéger les citoyens contre l’arbitraire qui règne dans le secteur du renseignement, entre « l’autorité judiciaire » et « l’autorité publique », la quelle protège le mieux les citoyens ?

L’article 2 de votre proposition de loi dispose : « peuvent être autorisées, à titre exceptionnel, sur décision du président de la République, (….) les techniques de renseignements… ». Ainsi, une possibilité est donnée au Président de la République de mettre des citoyens de son choix sur écoute. En quoi cette disposition constitue-elle une avancée démocratique en soi si ce n’est pas une remise en cause des acquis démocratiques ? En clair, votre proposition veut supprimer le contrôle judiciaire des écoutes téléphoniques, pour faire du Président de la République un tyran qui disposera d’un droit de vie sur les citoyens que nous sommes. Au nom de quoi ?

Surtout que, l’article 11 de votre proposition pose le principe d’une immunité pénale absolue pour les agents de renseignements en ces termes : « N’est pas pénalement responsable l’agent des organismes désignés à l’article 3 qui, en recueillant des renseignements conformément aux dispositions de la présente loi, commet des faits susceptibles de constituer des infractions pénales. Ces faits doivent toutefois être strictement nécessaires à l’accomplissement de ses missions ». Dans votre explication, j’ai pu comprendre que pour vous l’expression « infractions pénales » signifie dissimulation d’identité ou utilisation de fausses identités. Dans une matière où la précision terminologique est de rigueur parce que l’interprétation est stricte, c’est incompréhensible qu’un législateur confonde « infractions pénales » (contraventions, délits et crimes) à « certains comportements ordinaires qui peuvent relever du délit et non du crime », sans les définir expressément dans sa proposition de loi comme vous le dites dans vos explications.

Enfin, vous semblez faire référence à l’article 107 de la constitution comme un obstacle. En effet, si votre proposition de loi a des implications financières, soit vous trouvez des sources de financement, soit vous trouvez un accord avec le gouvernement. En décembre 2016, vous avez voté le budget général de l’Etat dans lequel le budget de la défense a augmenté de 27%. Avez-vous proposé, en amendement, des sources de financements de votre proposition de loi à venir deux mois plus tard ? N’est-ce pas une question de cohérence et de prévisibilité que de légiférer ? Enfin, vous nous expliquez qu’un accord est impossible avec le gouvernement sur les implications financières de votre loi. Mais lors du « séminaire » de Dassa, ce sont les ministres du gouvernement (Joseph DJOGBENOU et Sacca LAFIA) qui sont venus exposer l’opportunité et le bien fondé de votre proposition de loi. Est-ce sans votre accord ?

En conclusion, l’environnement de votre proposition de loi manque d’ « hygiène » et de clarté. La politique n’est faite que de réalités qui changent, il est vrai. Mais, il est aussi vrai que le destin de la démocratie c’est la loi. Il y a une réalité politique en cours au parlement depuis le 6 avril 2016, je dirai une accointance politique incestueuse, entre l’exécutif et certains parlementaires. Cette réalité politique peut se retrouver être le terreau d’un déluge démocratique pour notre peuple.

Cher honorable, faut-il sacrifier la démocratie pour de la politique politicienne?

 

Djidénou Steve KPOTON

(Citoyen engagé).

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